On m’a parfois reproché de n’écrire que des billets pessimistes ou rageurs. Cela m’a surpris, mais en y regardant de plus près, je dois confusément avouer que c’est assez vrai. Même lorsque je m’extasie sur une œuvre, c’est souvent pour reprocher au monde entier de la laisser dans l’ombre. C’est même pire, cela présente un coté pédant parfaitement intolérable. Comme si j’étais le seul à ne pas porter d’œillères. Y-a pas ; faut que je râle ! Pourtant je sais faire autrement, aussi ! D’ailleurs…, à ce propos…
La fraicheur commençait à pincer les doigts. Je marchais, de façon soutenu comme le réclame les préconisations des institutions de santé publique. Depuis près d’une heure, je n’avais croisé qu’un seul pécheur. Plus loin, j’avais salué des grands parents suivis par un enfant juché sur une voiturette électrique ; puis un couple, occupé à jeter du pain rassis à quelques canards fanfarons.
Seuls,
quelques vieux riverains
près d’un gué incertain
amenaient leur vieux chien
y poser leur besoin
Outre le froid, je commençais à sentir la fatigue. Mais j’étais heureux. Que le canal était beau malgré les détritus épars, les terriers des berges que ravagent parfois les ragondins et bien entendu les inévitables crottes canines.
J’ai été surpris de constater alors que des trous fraichement creusés suivaient à intervalles réguliers la rive du canal. Environ tous les 3, 4 mètres. Puis des baguettes prolongées de racines apparurent, justes jetées dans le trou encore vide. Nous étions dimanche, quel jardinier communal venait donc faire ici des heures supplémentaires ? Devant moi, relativement loin, un couple apparu dans la brume. En contrebas, des enfants courraient. En approchant, je constatais qu’ils étaient bien mes jardiniers, non pas communaux, mais tout simplement du dimanche, de vrais amateurs, des gens de bien, venu offrir au canal leur prodigalité, et aux usagers des promesses de fruits, d’ombre et de plaisirs.
Pendant que Calixte et Laurianne se roulaient dans l’herbe fraiche en riant, leurs parents trimaient avec un grand sourire sur leur visage radieux. Olivier creusait des trous à intervalle régulier, remplissant des seaux de terre qu’il allait ensuite immerger dans le canal afin de les gorger d’eau. Cécile, de son côté, choisissait les plans et posait ces arbres en devenir au fond des trous. Lorsqu’une dizaine de trous avait été creusée, Olivier y vidait les seaux de terre autour des racines pendant que Cécile tenait le jeune tronc et ses rameaux.
Ils terminaient leur travail dominical et me dirent qu’ils avaient planté ce jour une quarantaine d’arbres de différentes variétés ; des amandiers, des figuiers, des Buddleias, des noyers, des pêchers et des cerisiers. Tous provenaient de leur jardin de Boé.
Je m’étonnais de cette forme de bénévolat. Faisaient-ils partie d’une association ? Etaient-ils subventionnés ? « Oh non, tout cela est trop compliqué. Et plutôt que tenter de l’organiser, autant le faire, c’est bien plus facile !
Cécile me dit en se tournant vers Olivier « Il a un don, dès qu’il plante un noyau, il pousse. Du coup, on est envahit. Autant en faire profiter d’autres ».
Olivier a les pouces verts. Il est le Tistou du canal, et sa famille est digne de notre admiration. Merci à eux.