En septembre dernier, à la fin du troisième trimestre d’existence d’EspaceJeux, j’ai publié une analyse des tournois multitables où on pouvait constater qu’il existait une irrégularité dans la distribution des pourcentages de retour. Entre 150% et 300%, il y a trois fois plus de joueurs que prévu. Pour le reste, la distribution reflète un phénomène typiquement aléatoire.
Cette irrégularité peut s’expliquer par l’existence de joueurs véritablement doués, capables d’exploiter cet avantage à long terme. Une autre explication plausible est l’utilisation, interdite mais largement répandue quand même, de logiciels d’aide à la décision. En l’occurrence, sur les forums commandités par EspaceJeux, les joueurs discutent abondamment des différents logiciels disponibles, notamment du célèbre logiciel HEM (Hold Em Manager) qui renseigne sur les forces et les faiblesses des autres joueurs selon leur comportement passé.
Cette situation privilégie artificiellement environ 5% des joueurs réguliers. Si, en raison de ce désavantage additionnel, le joueur moyen perd au-delà du montant qu’il est prêt à perdre pour se distraire, son comportement est à risque d’extinction … du moins sur le site d’EspaceJeux. Ou bien le joueur va cesser de jouer, jouer à autre chose, ou il va jouer ailleurs.
Un moyen d’éviter que les pertes du joueur moyen ne dépassent sa limite de tolérance consiste à augmenter le rakeback (ristourne sur la dépense au jeu). Sur EspaceJeux, on a fait l’inverse. On a augmenté le rakeback uniquement pour les gros joueurs. Parmi cette catégorie de joueurs, le rakeback est susceptible d’augmenter la dépense réelle au jeu au point de compenser la perte de profit. Cela peut être un politique efficace d’endiguement. Mais, sans mesure de protection adéquate contre la présence accrue des joueurs performants, un effet délétère sur la clientèle moyenne peut être raisonnablement anticipé.
Présentement, la clientèle moyenne semble encore dans sa limite de tolérance. Quand cela va s’atténuer, des joueurs préféreront jouer ailleurs. Dans un contexte de site territorial monopolistique, les sites offshores sont le seul autre choix. À cet égard, EspaceJeux peut difficilement être autre chose qu’un club-école orientant à long terme, vers les sites offshores, des joueurs qui autrement n’auraient pas joué en ligne. Dans un tel cas, considérant le faible taux de création de nouveaux joueurs, les joueurs performants ne se dévoreront pas entre eux lorsque la niche environnementale se videra. Eux aussi vont s’orienter vers les sites offshores.
En mars 2010, lorsque Élisabeth Papineau et moi avons écrit le mémoire de l’Institut National de Santé Publique du Québec (INSPQ), nous avions proposé (page 38) un système de pointage apte à protéger le joueur moyen de poker sans avoir à interdire à quiconque de jouer, et surtout sans avoir à ménager les mesures destinées à rapatrier les gros joueurs offshores. Trop pressé d’acheter le produit obsolète de Boss Media, le ministre des Finances et Loto-Québec ont refusé le moratoire nécessaire à la révision du projet. On a préféré un bataclan de mesures qu’on savait déjà inefficaces, véritable phantasme pour avocat. On connaît la suite. Les ressources ayant été considérablement exagérées par les promoteurs, le volet poker d’EspaceJeux a manifesté, très tôt, les indices d’un écosystème pauvre, exploité à outrance sans politique crédible de protection des ressources.
EspaceJeux a été pensé par des gestionnaires appartenant à une génération qui ne comprend pas l’écologie des systèmes. Le temps très long pour sortir de la caverne fait prendre un retard critique aux Québécois.
Photo : HTO