Stratégie indirecte

Publié le 11 décembre 2011 par Egea

La dissuasion a gelé la guerre classique et industrielle : les intérêts ne sont jamais assez vitaux pour qu'on prenne le risque de déclencher un conflit, qui risquerait de monter aux extrêmes, même si on base tous les calculs sur cette montée aux extrêmes.

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Mais la stratégie totale, au sens de BEAUFRE, nécessite d'aller chercher d'autres voies pour faire valoir ses avantages.

Ce fut la stratégie indirecte.

1/ Indirecte d'abord géographiquement : ce furent les guerres non-européennes de l'affrontement bipolaire. Toutefois, elles demeuraient des guerres militaires, et politico-militaires : les guerres de décolonisation et post-coloniales sont finalement assez classiques.

2/ La chute du système bipolaire a laissé en place le système de dissuasion, mais a relancé la stratégie indirecte. Ce furent des crises de transition (Bosnie, Cambodge, Ruanda, RCI) et surtout des crises pas forcément militaires. Le 11 septembre est une stratégie indirecte : la mise en oeuvre d'un contournement de la puissance de l'adversaire, par l'invention de l'asymétrie : ce furent l'Irak, l'Afghanistan et Plomb durci, autant d'illustrations de ce nouveau mode, plus exclusivement militaire.

3/ On a depuis compris que la stratégie indirecte ne passait plus, ou très marginalement, par ces voies militaires. Il faut constater la multiplication d'actions doublement indirectes de la conflictualité latente : piraterie, mafias narcotiques, criminalité internationale, guerre économique, guerre médiatique, cyberguerre sont autant de modalités nouvelles des conflits à l'oeuvre.

4/ L'usage du mot guerre est gênant, et j'ai mis beaucoup de temps à l'admettre : mais il comporte une part de vérité. En effet, il s'agit de la manifestation de la stratégie indirecte, rendue inéluctable par le fait nucléaire. Il reste que l'abus médiatique de ces expressions, et le battage à la fois médiatique mais aussi intellectuel des spécialistes, empêchent de voir les choses du bon point de vue, celui de la stratégie générale. Je prends un exemple : Xavier Raufer n'a pas tort de montrer que la criminalité se développe, etc... Là où je ne le suis pas, c'est lorsqu'il sous-entend que cette nouvelle conflictualité prend le pas sur toutes les autres. Certes, il s'agit d'une nouvelle modalité, très contemporaine et rendue possible par le nouvel environnement international. Mais tout ne se jouera pas là. Le stratège devra composer entre les sphères, dans une combinatoire générale devenue certes compliquée, mais inévitable.

N'étudier qu'une sphère aux dépens des autres est se condamner à échouer. Même s'il n'y a aucune garantie de succès à jouer tous les registres.

O. Kempf