l y a un peu plus d'un an, j'écrivais sur la pénurie de pentesters. Un an plus tôt, c'était Newsoft qui posait la question de la fuite des cerveaux dans un billet largement commenté. Les idées exposées alors n'avaient cependant rien de bien nouveau, si ce n'est aux yeux des grands décideurs à qui la "cyber", comme ils disent, s'imposait comme le truc dont il fallait s'occuper.
Alors que 2012 pointe le bout de son nez, et que l'intérêt pour la sécurité informatique a littéralement explosé, ce monde, qui n'est plus le landerneau qu'il a été, se retrouve aujourd'hui à s'affliger d'une pénurie de compétences. Et de compétences techniques en particulier. Pénurie largement attribuée à l'explosion de la demande, mais qui vient surtout, à mon avis, de l'incapacité chronique de cette industrie à valoriser ces compétences et leur proposer de réelles perspectives.
On a pas mal disserté çà et là de ce que l'industrie informatique française, au sens large, ne savait pas valoriser les compétences techniques. C'est un fait indiscutable. Sauf que non contente de pousser de plus en plus de gens techniques vers des filières plus managériales[1] ou vers l'étranger, cette réalité a également façonné l'offre, si j'ose m'exprimer ainsi, en candidats potentiels. D'une part parce que les formations ont adapté leurs contenus à l'attente de ces entreprises, et d'autres parce que les étudiants ont orienté leur cursus et leurs options vers des voies jugées plus conventionnelles, mais plus prometteuses parce que plus en adéquation avec le marché. Il ne devrait donc pas être particulièrement surprenant qu'après avoir demandé du chef de projet et du manager pendant des années, le vivier de profils techniques compétents ne soit pas à la hauteur des attentes actuelles. Et ce malgré la prolifération des cursus spécialisés en sécurité informatique[2].
Ceci explique en partie cette pénurie de talent. Car lorsqu'on m'interroge sur ce sujet, je ne peux m'empêcher, comme d'autres esprits taquins, de faire remarquer que pendant que certains ont un mal de chien à recruter, d'autres ne semble pas autant souffrir de ce mal parait-il généralisé. Typiquement, une certaine agence gouvernementale qu'on ne citera pas ne semble pas se positionner si mal quand il s'agit d'attirer les candidats intéressants, au point que certains lui reprochent de dépeupler le secteur privé. La publicité faite autour de leurs besoins de main d'œuvre à chaque intervention ou en page de garde de leur site web y est probablement pour quelque chose, mais s'en tenir là serait, je pense, ne considérer que l'arbre qui cache la forêt et donc ignorer l'essentiel du problème.
Car le problème de fond, à mon sens, c'est que les candidats veulent des perspectives. Et que, question perspectives, ce n'est pas le mode de management basé sur une prétendue interchangeabilité de ressources bon marché qu'on presse jusqu'à la moelle, érigé en esprit d'entreprise chez les gros du secteurs, qui va les faire rêver. Ça ne passait pas trop mal quand tout le monde fonctionnait de la sorte et que l'herbe n'était jamais vraiment plus verte à côté. Sauf que depuis que d'autres proposent des challenges nettement plus intéressants que d'aller faire le bouche-trou en costard, ben ça coince. Avec des conséquences à moyen et long terme qui vont largement dépasser le recrutement des jeunes diplômés...
Le constat est dur, c'est vrai. Le trait est certes grossier, voire un poil exagéré, d'autant qu'il y a des exceptions notables à cette affirmation[3]. Mais il est à la hauteur de la pente que certains ont à remonter aujourd'hui pour redorer leur image auprès de candidats désormais blasés, quels que soient leur age, leur compétence leur expérience. Car offrir des perspectives, si c'est une formule qui ne prend pas beaucoup de place sur un slide, demande souvent de revoir la gestion de ses ressources du sol au plafond, avec des implications concrètes sur l'ensemble de la chaîne, qu'il s'agisse du management, du recrutement, du développement de carrière, de la formation, de la communication, etc.
Et pour moi, la question n'est pas tant de savoir si les compétences sont là ou pas aujourd'hui pour remplir tous les postes ouverts dans le secteur, parce qu'il est probablement un peu trop tard pour faire virer de bord le porte-avion, mais surtout de savoir si certains sauront arrêter de faire l'autruche, et se donner les moyens pour créer un environnement qui saura, demain, susciter des vocations et retrouver la faveur des candidats.
Et en parlant de ça, nous aussi on recrute dans notre labo de Suresnes ;)
Notes
[1] Avec des conséquences calamiteuses sur la qualité générale du management...
[2] Dont le contenu technique s'est lui-même adapté à la réalité sus-mentionnée...
[3] Exceptions qui font le bonheur de ceux qui peuvent y exprimer et développer leurs talents.