La blessure originelle de l’abandon a-t-elle cicatrisé
grâce à l’amour de la famille adoptive
et au sentiment de filiation qu’elle a fait naître ?
Nombre de psys ont ausculté les blessures des enfants adoptés et les difficultés des familles adoptantes.
Mais qu’en est-il de ces enfants parvenus à l’âge adulte ?
La blessure originelle de l’abandon a-t-elle cicatrisé grâce à l’amour de la famille adoptive et au sentiment de filiation qu’elle a fait naître ?
Ou, au contraire, est-elle toujours à vif, et ce d’autant plus quand il y a des secrets de famille ?
Pour les adoptés, le sujet est sensible. Beaucoup craignent que l’étiquette d’enfant abandonné ne leur colle à la peau. Comme si, pour la société, cela faisait d’eux des êtres à part, marqués dans leur chair.
“Quand je glisse à quelqu’un que j’ai été adoptée, cela suscite souvent un malaise, raconte Hélène Jayet, 34 ans, née sous X et adoptée à 3 mois et demi. On me dit volontiers : “Oh, pardon, je suis désolé, je ne savais pas.” Alors que pour moi, c’est une chance. Ce n’est pas un abandon, mais un don.” Sur LeMonde.fr, Laurent (le prénom a été changé), 38 ans, témoigne : “J’ai effectivement été adopté. J’en suis fier et ne m’en cache pas, bien au contraire. Mais surtout, je ne remercierai jamais assez ma mère de m’avoir offert une vraie famille. Aujourd’hui, je suis marié, j’ai trois enfants. Je suis bien dans ma tête.”
“DOUBLE LOYAUTÉ”
Les enfants adoptés sont confrontés à une double dette que les psychothérapeutes familiaux nomment “double loyauté”. Comme l’explique Nicole Prieur, psychothérapeute, philosophe et auteure de Raconte-moi d’où je viens (Bayard Jeunesse, 2007), ils reçoivent la vie de leur mère biologique et les moyens de la vivre dignement de leur famille adoptive, ce qui provoque des tiraillements. “Souvent, les enfants adoptés choisissent d’être loyaux envers leur famille adoptive ; et répondent plus que dans les autres familles à leurs attentes”, poursuit Nicole Prieur.
Cette loyauté exacerbée peut se traduire par des choix professionnels contrariés, correspondant plus aux désirs des parents qu’à leurs propres envies. “Parvenir à devenir un traître heureux ne va pas de soi”, souligne Nicole Prieur.
Parfois, ce sont les relations aux autres qui sont marquées par l’évitement des conflits. Enfin, sur le plan amoureux, d’aucuns jettent leur dévolu sur des êtres qui ont les mêmes blessures qu’eux, espérant ainsi réparer leurs histoires douloureuses mutuelles. Selon Nicole Prieur, le danger serait toutefois pour eux de surinvestir le couple et les enfants, au détriment des ajustements nécessaires à l’équilibre familial.
La question des origines peut resurgir avec force lors de certains événements de la vie : naissance, deuil, échec professionnel, rupture amoureuse… Dans Le complexe de Moïse, Marie-Claire raconte le manque de sa mère biologique lorsqu’elle était enceinte : “Ton absence, je la gère, ou plutôt je l’étouffe. Mais quand mon ventre se fait plus rond, je n’en peux plus. La vie bouge en moi comme elle a bougé en toi. Et toi tu n’as pas fait face, tu as disparu.” Une étape douloureuse, mais parfois salvatrice : “Le fait d’être mère et de ne pas abandonner son bébé répare quelque chose de la propre histoire de ces femmes.”
Les hommes vivent sans doute cette période moins viscéralement puisqu’ils ne portent pas le bébé. “Mais lorsque le père regarde le visage de son enfant, il remarque leurs ressemblances, par exemple. Cela le renvoie forcément à ses origines”, dit Diane Drory.
UNE IDENTITÉ TOUJOURS EN CONSTRUCTION
Lorsqu’on avance en âge, la question de savoir d’où l’on vient se fait (ou peut se faire, ce n’est qu’une possibilité) plus insistante. Sur LeMonde.fr, Claude (le prénom a été changé), 70 ans, adopté à l’âge de 2 ans, évoque son parcours. “Aujourd’hui, je vis dans une douleur permanente, alors que je ne me suis jamais posé de questions avant. Je ne supporte plus le cri, le rire, le mouvement d’un enfant à la terrasse d’un café”, raconte-t-il. Les questions existentielles se posent à cet âge de la vie. Or, dans l’histoire des adoptés, il y a un morceau amputé qu’il faut restaurer.
Hélène Jayet s’y essaie grâce à son métier de photographe. Aux Beaux-Arts déjà, ses dessins parlaient d’identité. Les adoptés, elle les photographie, elle les filme, elle leur donne la parole. Elle s’attelle à la création d’un webdocumentaire sur le sujet. Ses objectifs ? Faire tomber quelques clichés (“Les adoptés sont forcément malheureux”), donner des outils aux familles adoptives et surtout offrir aux adoptés la possibilité de mettre en mots leur histoire. Eux qui ont souvent du mal à évoquer leur ressenti.
La résilience, cette capacité à rebondir après des épreuves, passe aussi par la créativité. Cependant, elle n’est jamais acquise. Notre identité est toujours en construction. “La résilience de l’adopté, c’est sans doute d’accepter, comme tout un chacun, que l’identité est mouvante“, souligne encore Diane Drory.
“La blessure de l’abandon m’a donné une force, revendique Hélène Jayet. C’est elle qui donne aux adoptés leur vive sensibilité et leur ouverture au monde.”
Sources: lemonde, Christine Angiolini, l’article original ici