ou peut-être était-ce les deux-cinquièmes. Je n'y étais pas revenu depuis même si j'ai lu il y a quelques années le pamphlet de Chateaubriand (1768-1848) : De Buonaparte et des Bourbons¹ publié en 1814, qui se termine par ce cri du cœur : Vive le roi!
Relire n'est donc pas le terme le plus approprié, en tous cas cette fois-ci j'ai la ferme intention de lire la totalité de ce chef-d'œuvre de la littérature. L'édition que je me suis procurée est celle du « Livre de Poche² », 8 € pour le tome I - il y en a trois autres - à ce prix-là vous êtes sûr d'avoir un retour sur investissement comme dirait ma nièce. L'ensemble constitue 42 livres découpés en chapitres ; 3 500 pages manuscrites, 2 441 pages pour les quatre tomes de l'édition de Poche (hors les fragments retranchés par Chateaubriand). Bref, comme l'on dit de nos jours : c'est du lourd!
Après tant d'années comment allais-je redécouvrir ces mémoires? Eh bien! ma foi avec beaucoup de plaisir. Première surprise : c'est très facile à lire. Le découpage en chapitres courts permet de lire à sa guise, de marquer des temps d'arrêt dans la lecture. Le style est très agréable, empreint de lyrisme, période romantique oblige, Chateaubriand adopte le rythme ternaire que de Gaulle reprendra à son compte dans ses propres mémoires. Le XVIIIe siècle n'est pas loin, on sent l'influence de Rousseau dans la description de la nature, le Rousseau des Rêveries du promeneur solitaire.
L'enfance au château de Combourg, le portrait magnifique de l'une de ses sœurs, Lucile (Livre troisième, chapitre quatre) :
→ « Lucile était grande et d'une beauté remarquable, mais sérieuse. Son visage pâle était accompagné de longs cheveux noirs ; elle attachait souvent au ciel ou promenait autour d'elle des regards pleins de tristesse ou de feu. Sa démarche, sa voix, son sourire, sa physionomie avaient quelque chose de rêveur et de souffrant. [...] Á dix-sept ans, elle déplorait la perte de ses jeunes années ; elle se voulait ensevelir dans un cloître. »
celui de son sévère père, le premier séjour à Paris, voilà ce qui compose le début de ce premier tome, j'en suis là.
Bien sûr les contempteurs de Chateaubriand lui reprocheront toujours, grosso modo, de poser pour la postérité, de mettre de l'affectation dans son propos, voire de l'affèterie, mais il peut se le permettre, son matériel littéraire est taillé dans les plus purs diamants de la langue française avec ce sentiment d'être "le dernier témoin des mœurs féodales".
Du reste la rencontre de l'intime et de l'Histoire est la marque des Mémoires d'outre-tombe à travers desquels Chateaubriand voit se succéder plusieurs styles de gouvernement : Ancien régime, République, Directoire, Consulat, Empire, Restauration ; un bonheur pour les spécialistes de droit constitutionnel.
Lui-même servira la monarchie quand il en sera ambassadeur : la diplomatie ce fut en effet le métier de Chateaubriand. Et la littérature sa passion. Avec ses Mémoires, le vicomte sait aisément nous la faire partager. Noblesse oblige.
Notes
¹ Chateaubriand, De Buonaparte, des Bourbons, et de la nécessité de se rallier à nos princes légitimes pour le bonheur de la France et celui de l'Europe, « Arléa », 2004, 13 €
² édition établie, présentée et annotée par Jean-Claude Berchet, dont on apprécie la concision dans le traitement d'une œuvre si foisonnante