Bande dessinée - 440 pages
Editions Casterman - mars 2009
L'Afrique et la France se mélangent à Mayotte. Dernier département français depuis peu, Mayotte est une île qui attire chaque jour des dizaines d'immigrés des Comores ou de Madagascar. A Mayotte donc, on croise des Maorais qui découvrent partiellement le Service Public à la française, des immigrés dans le plus grand dénuement qui ont débarqué à bord d'embarcations de fortune, des expatriés médecins qui s'affairent face à la détresse des hospitalisés, des "Blancs" racistes aux allures de colons pervers... Il y a celle qui débarque fraîchement, sage-femme au tournant de sa vie, décidée à laisser ses enfants à son ex-mari en métropole pour aider les démunis dans cet ailleurs dépaysant et fascinant. Sur l'île, depuis pas mal de temps déjà, il y a le Français qui tient une boutique SFR, et va vivre une idylle inattendue avec la belle Lucie, il y a un ex-toxicomane, il y a le médecin consciencieux, humaniste et optimiste, et d'autres... Tout ce monde d'"expatriés" et puis en face, des prostituées, des malades, des habitants de Mamoudzou, et puis Anissa et Yamina, émigrées malgaches qui rêvent du prince charmant salvateur, à trouver parmi la riche faune venue de métropole...
En ouvrant les pages de ce pavé dessiné lourd de plus de 400 pages, on est fermement invité à prendre en pleine face les réalités de cette île Française mais si lointaine, si paradisiaque et siège de tant d'inégalités et de drames humains. Comme dans un bordel à grande échelle, la prostitution va bon train, apparaissant presque comme le seul espoir de survie de milliers de jeunes femmes en situation irrégulière qui constituent pour une grande partie l'énorme population d'immigrés venus des îles alentours de l'océan Indien. Dans le même bateau mais logés dans une cabine bien plus confortable, on trouve des "expatriés", terme impropre d'ailleurs puisque nous sommes toujours en territoire français. Des expatriés hommes pour la plupart, qui ont laissé souvent femmes et enfants, et qui s'adonnent sans vergogne aux plaisirs de la chair dans les boîtes de nuit de Mamoudzou ou dans leur seconde vie conjugale sur l'île. Des hommes qui plaignent ces belles filles attirantes et démunies. Et puis, on trouve aussi forcément le gros raciste écoeurant, qui, loin d'être un mythe, se rencontre toujours dans les parties reculées du globe où les filles sont faciles à acheter et leurs propos immondes et racistes jamais décriés.
Extrait :"C'est une belle fille...
Et quand t'es une belle fille, l'infinie misère est toujours moins profonde que quand t'es un mec. Surtout quand des Blancs avec des cartes bleues traînent en boîte de nuit.Quand t'as trouvé une minijupe, t'as déjà fait la moitié du chemin pour t'en sortir de ta misère."
Alors, comme dans un film choral, tous les personnages de la BD poursuivent leur quotidien de découvertes, de loisirs et de colère, de tromperie, de conflits et de doutes. Le sexe est facile mais l'amour se complique. Les inégalités fracassantes risquent souvent d'infiltrer dans les rapports de grandes frustrations, des hontes et une belle ambigüité. Quand il est question des retours en métropole, les retrouvailles familiales sont parfois douloureuses, le décalage entre les deux mondes se faisant encore plus cruellement sentir.Les histoires fournies sont servies par un trait noir épais, insistant aussi sur les contrastes. Charles Masson est médecin à la Réunion, et connaît également la vie à Mayotte. Si les personnages de la BD ne sont pas forcément calqués sur sa vraie vie, il n'en reste pas moins que ce contexte socio-économique est décrit avec la justesse d'un homme qui a porté son regard attentif sur les réalités de cette population.C'est pourquoi cette BD se lit à la fois comme un album vivant avec ses histoires croisées de couples et d'amitié, et à la fois comme un constat amer de la situation délicate née du déséquilibre entre Mayotte et les îles de Madagascar et Anjouan voisines, et de la politique indélicate du gouvernement français.