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JACMEL : ÉVITONS UN NOUVEAU… PORT-AU-PRINCE! E...

Publié le 11 décembre 2011 par Jean-Olthène Tanisma
JACMEL : ÉVITONS UN NOUVEAU… PORT-AU-PRINCE!
Enclavée au pied du versant sud-ouest du massif de la Selle tout en offrant une fenêtre panoramique  sur la Mer des Antilles,  la ville de Jacmel, chef-lieu du département du sud-est, a toujours constitué depuis plus de trois décennies un pôle récréotouritique et culturel majeur vers lequel convergent  régulièrement  autant les résidants de Port-au-Prince que ceux de la grande région du sud. Les raisons de cette attraction sont nombreuses et diverses. Parmi celles-ci, soulignons notamment l’ébullition constante du secteur artistique et artisanal, la présence de nombreux sites historiques, une architecture locale à l’échelle humaine encadrée par une topographie éblouissante, une couverture végétale encore appréciable ayant résisté à l’érosion galopante qui a affecté le reste du pays. À ces atouts naturels, il convient de souligner la régularité de l’approvisionnement en eau et en électricité de la population locale ainsi que la relative sécurité dont jouissent les habitants jusqu’ici, par rapport à d’autres villes du pays.
Suite au tragique séisme de janvier 2010, Jacmel, demeure  sans doute l’une des communes qui a le plus bénéficié de l’attention et de l’intérêt des médias locaux et internationaux, en dehors de Port-au-Prince. En effet, depuis le passage de Mme Michaelle Jean, ancienne gouverneure générale du Canada, aujourd’hui envoyée spéciale de l’Unesco et native de la Ville, plusieurs projets de développement touristique sont prévus ou en voie de réalisation pour consolider le rôle de pôle socioéconomique, historique et  culturel de Jacmel. La communauté internationale de son côté a déjà déboursé quelques dizaines de millions de dollars depuis 2007 dans des projets d’études ainsi que dans la réalisation de travaux d’infrastructure dont certaines sont en cours présentement.
Cependant, cette frénésie engendrée par les opportunités de la reconstruction doit être tempérée et contrôlée rapidement par les autorités locales. Car, la probabilité d’une explosion démographique et de ses conséquences désastreuses dans le tissu urbain au cours des prochaines années demeure réelle. Dans cette perspective, le gouvernement haïtien, notamment les ministères de la planification externe et du tourisme, doit prendre des mesures vigoureuses appropriées pour favoriser et surtout pour mieux encadrer ce développement  afin d’éviter les cauchemars qu’ont connus et que vivent encore la capitale haïtienne et plusieurs autres agglomérations urbaines.
Cette vigilance doit avoir inévitablement comme point d’ancrage le plan d’aménagement et de développement de la Ville et de sa périphérie dont plusieurs versions ont été élaborées dans un passé récent. Parmi ces documents produits entre 2007 et 2009, mentions entres autres : le Plan Local d’Urbanisme (PLU) du Ministère de l’Économie et des Finances, le plan directeur d’urbanisme du Ministère du tourisme haïtien ainsi que des études spécifiques portant sur la préservation du patrimoine, en particulier le rapport de la mission canadienne sur la sauvegarde et la mise en valeur du centre historique de Jacmel (2009). Le plan de d’aménagement élaboré l’an dernier par TransCity Architecture and Urbanism, bien qu’alléchant s’inscrirait davantage dans l’horizon du long terme compte tenu des importantes opérations cadastrales, des études précises de topographie et de l’envergure des travaux d’infrastructures à entreprendre en amont de sa réalisation.
Les pistes de solution
Au cours des 20 dernières années, les faiblesses institutionnelles de l’état haïtien dans le domaine de l’aménagement et de la gestion du territoire ont contribué à la dégradation fulgurante et, dans certains cas, irréversible du cadre et de la qualité de vie des différentes agglomérations urbaines. Malgré l’existence de plusieurs rapports d’études, force est de constater que les institutions et leurs instances compétentes ont beaucoup de difficulté à opérationnaliser et à mettre en œuvre de façon efficace, cohérente et continue les recommandations issues de ces rapports. Ce laxisme explique en partie la présence de milliers d’intervenants, s’affairant à opérer ça et là aujourd’hui des interventions d’urgence dans les tissus urbains et régionaux : construction de tronçons de route, de centres hospitaliers, d’édifices publics, d’écoles,  aménagement ponctuel de bassins versants, etc.  Or, qui pis est, ces multiples interventions qui grugent des budgets astronomiques ne s’inscrivent pas dans un plan de développement global orientant l’avenir des collectivités, comme la pratique de la gestion territoriale partout ailleurs l’exige.
Le contrôle du développement de la conurbation de Jacmel aujourd’hui offre l’occasion au nouveau gouvernement de concrétiser le changement dont il se fait l’apôtre par la prise en charge énergique des actions d’urbanisme appropriées. Cette initiative passe d’abord par l’actualisation des différents plans  d’aménagement et, dans un second temps, par l’application des instruments municipaux légaux qui encadrent et opérationnalisent le contenu desdits plans.
Un plan d’urbanisme n’est opérationnel que s’il est complété et encadré par une règlementation opposable aux tiers et qui lui donne force de loi. À titre d’exemple, lorsque le plan identifie un secteur de construction de haute ou de basse densité, la réglementation viendra y fixer des limites de hauteur, le nombre d’étages et l’implantation au sol des bâtiments pour encadrer ces objectifs de densité définis dans le plan. Tous les requérants de permis sont obligés de s’y conformer. Par conséquent, l’élaboration et l’application rigoureuse d’une règlementation de zonage, de construction ainsi que des normes d’encadrement de la circulation véhiculaire, constituent  des interventions urgentes à mettre de l’avant dans la conjoncture actuelle.
Cette réglementation devra, entre autres, répondre aux questions suivantes:
  • Quelles sont les limites de l’expansion de la ville;

  • Quelle  est la densité de population idéale pour une telle commune;

  • Les collines et les espaces à vocation agricole situés en périe immédiate, sont-ils destinées à la construction également, si oui, à quelles conditions;

  • Existe-t-il des zones non aedificandi;

  • Quel est le nombre d’étages maximal et minimal autorisé dans certains secteurs à caractère historique;

  • Doit-on imposer des normes architecturales restrictives ou permissives pour les nouvelles constructions dans le centre historique;

  • Quelles sont les exigences prévues pour les zones agricoles, les zones de déversement des déchets domestiques, commerciaux et industriels;

  • Doit-on autoriser l’implantation des commerces du secteur informel n’importe où, inconditionnellement comme à Pétionville et ailleurs;

  • Un propriétaire ou un promoteur, doit-il ou non respecter des exigences au regard de la typologie et de la volumétrie des bâtiments existants à l’intérieur des limites de la ville;

  • Peut-on ou doit-on permettre une architecture moderne totalement en rupture avec l’existant sous prétexte de développement touristique;

  • Y a-t-il lieu de hiérarchiser et de contrôler la circulation des taxis-motos, des véhicules lourds et de transport dans la ville;

  • Doit-on autoriser les établissements de bars, de danse partout;

  • Peut-on permettre l’abattage des animaux en tous lieux;

  • Etc.

Autant de questions auxquelles la gestion du développement urbain, en l’occurrence la règlementation devra répondre si l’on veut préserver l’attraction touristique, le dynamisme socioéconomique, le caractère historique et culturel de Jacmel. L’application rigoureuse d’une telle règlementation n’affectera ni le caractère festif de la commune, ni son charme colonial, mais contribuera plutôt à les renforcer. Il serait erroné de croire que de tels principes de contrôle et de préservation de la qualité de vie ne s’appliquent qu’à des pays ou à des villes occidentales. Sinon, dans quelques années, la Ville des  écrivains-poètes  Amédée Brun, Roussan Camille, René Dépestre, Jean Métellus,entre autres, pourrait se muer en un nouveau Port-au-Prince. 
Évitons cette redoutable éventualité en améliorant  nos pratiques et nos  façons de faire afin de sauter à pieds joints dans le train de la modernité et des nouvelles pratiques de gestion des nos villes, de nos régions rurales. Mettons à profit le savoir-faire et les compétences locales également.

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