J'vas't'dire un secret !

Publié le 11 décembre 2011 par Perce-Neige

  Laissait, sisouvent, parfois, le silence, longuement,répondre à sa place... Puis, de temps à autre, pour qui pour quoi, haussait,tout de même, vaguement les épaules. S’efforçait d’un bref sourire. Esquissait,alors, un soupir honteusement désabusé. S’approchait encore un peu, si tant estque cela fut possible, mes ami-e-s, vous n’imaginez pas. Quelques centimètres ?A peine plus... Une poussière d’éternité. S’épuisait, à chaque fois, emportépar un soudain vertige, à ne rigoureusement riensavoir de ce qu’il ne pouvait, pourtant, s’empêcher de voir. De voir ? De voir…Ou d’entendre... D’entendre ? D’entendre…Ou de deviner. Soupçonner. Subodorer. Sentir, et plus encore. Car Rose était simaigre, désormais. Maigre… Et quant à ces yeux déjà fermés, obturés, liquéfiés,occultés, mieux valait, définitivement, ne plus en espérer le moindre réconfort.Et, surtout, surtout, ne jamais sesouvenir de la concavité cadavérique des chairs. Ou de la peau parcheminée,malodorante, horripilée de poils terriblement disgracieux. Ou de ces dents,molaires en chicots qui se crispaient, s’entourloupaient ou bifurquaient. Sedéchaussaient pour de bon. S’entrechoquaient, que c’en était maintenant vacarme,à force peut-être d’articuler d’inaudibles délires… Tu me parles ? Car, bafouillant de salive et de morve dans unrepli nauséabond du drap, le visage, halluciné déjà d’au-delà, à demi tournévers lui... Une simple esquisse de peur sur les lèvres tremblées. Une demiemesure d’attente dans l’éclat terni des orbites presque vides. Où t’es tu donc fourré, Paul, t’as d’l’apaille dans les cheveux ! A peine exprimé ainsi, bien sûr. Justechuchoté. Trois syllabes suffisent pour dire le monde, n’est-ce pas ! Ou qu’c’est’y donc, qu’t’es encore parti,mon garçon, hein ? Dis moi ? J’te vois plus !    Et pour cause !S’exilait, en effet, à la minute même. S’expatriait pour de bon. S’exfiltraitde tout ça. Retrouvait. Gambadait, en gesticulant comme un pantin, dans l’herbefraiche du matin. Une bonne trentaine d’années en arrière, au moins. Tout demême. Courait comme un dératé. Pas de répit. Aucun espoir, j’l’jure, de pouvoir, un jour, reprendre son souffle. Pas uneseconde. Crapahutait. Jusqu’à parvenir, in extremis, à se planquer, vite fait,derrière les framboisiers. Ou bien, dans un autre scénario, repéré par quelquestupide fanfaronnade, parvenant in extremis à se dégager de l’emprise des brigadesintergalactiques, réussir l’exploit, proprement prodigieux si l’on veut bienaccepter d’y songer, de contourner, en moins de deux, le lilas par le nordpour, brusquement, virer de bord à fond les manettes, à guère plus d’un mètredu cerisier. Quitte à piétiner sans vergogne les salades, le romarin, et tousles trucs qui poussaient un peu partout et dont personne, des kilomètres à laronde, ne semblait vraiment se soucier. Et quitte, aussi, pour faire bonnemesure, à presque saccager les rangs de radis avec tes chaussures de gamin.Histoire d’échapper à tes poursuivants. Qui braillaient comme des malades.Hurlaient à la mort. Paul, t’escuit ! On’te voit…  Visaientostensiblement les rognons pout t’envoyer des rafales de kalachnikov à clouerau sol un régiment tout entier. T'aspergeaient littéralement de la tête auxpieds pour peu que l’un, ou que l’autre, de ces zigotos parvienne à s’emparerdu tuyau d’arrosage. Te postillonnaient des insanités. T'annonçaient lacouleur. Jubilaient à la folie en réalisant soudain que, sauf miracle absolu, monpote, tu ne pourrais maintenant plus leur échapper… Vu qu’après les fraisiers,à peine en fleurs, la haie de thuyas en ultime refuge d’un quarterond’escargots, l’abri de jardin de grand père, le sentier se faisait volontiersmarécageux, pente glissante et toujours périlleuse qui plongeait directementvers la rivière. Brandissaient alors, ces salauds, en criant victouaaaaare, unsabre aux dimensions proprement extravagantes. Jouaient du lasso en setrémoussant ostensiblement le derrière, donnaient du clairon en gonflantexagérément les joues ou t'envoyaient les chiens te dévorer tout cru…     Enl’occurrence, d’ailleurs, Oscar s’en donnait à cœur joie, aboyant à perdrehaleine, et décrivant, presque inquiétant, de larges cercles autour de toi.Sauf que Rose, positivement, détestait ces manières de voyou. Et finissait -menaçant vaguement d’une passoire en fer blanc quiconque passait à sa portée -par s’extraire de la cuisine pour exiger, sans autre forme de procès, lacessation im-mé-diate des hostilités.Si ce n'est la paix, au moins un armistice. Faute de quoi... Faute-de-quoi... V’s’aurez d’mes nouvelles,les garçons ! Vu que j’suis pas d'humeur. Pas de patience pour vos caprices. Merendre folle... C'est ce qu’vous voulez, est’c’pas ? M’faire tournerbourrique... Achever vot’pauv’mère. Lui faire rendre gorge. Pitié bon sang !Voyez pas que je suis malade ? Fatiguée. Exténuée. Epuisée par toutes ceshistoires. J’veux plus vous entendre. Voulez vous bien déguerpir, bon sang debonsoir ! M’d’barrasser l’plancher un’bonn’fois pour toutes. Tropcontents, naturellement, de s’en tirer à si bon compte. Disparaissaient illico du paysage. Clamant chacun soninnocence, tout de même, défendant son honneur, sitôt en sécurité, réfugiés àbonne distance, protégés par la barrière du potager, perchés en équilibreinstable sur l’une des souches à demi enfouies dans les herbes (en contre bas).Pas moi, m’man… j’te jure… Ni moi, m’man,ni moi… Restait Oscarqui, lui, ne choisissait jamais de s’enfuir, acceptant même, ce héros, de vaillammentbraver la tempête. Bondissant joyeusement de plus en plus haut. Et de plus enplus n’importe où. Et n’importe comment. Vous déchirantbientôt allègrement les tympans à défaut de se calmer les nerfs, les vapeurs,le tempérament, sur n’importe quoi de facilement accessible ou sur n’importequi, et ce jusqu’à se voir, vertement, reprocher les pires exactions, etreconduire, manu militari, forcé de regagner ses pénates la queue entre les pattes,bien obligé cette fois d’accepter la sentence, le bagne, ni plus ni moins,vingt ans de réclusion, pour une paire de chaussons, à te morfondre au fond deta niche, mo’pauv’e Oscar. Vingt ansà ronger ton os, du soir au matin, ou à sortir les crocs, baver, grogner, tirersur sa laisse à vous flanquer une trouille bleue. Comme quoi c’t’animal est réellement enragé. Malade au moins du typhus.Couvert d’eczéma. D’impétigo. Une bonne douche. Un shampoing à l’eau de rose etil n’y paraitra plus rien. Paul, s’t’plait, laisse ce chien tranquille,t’entends ?    Lequelexultait. Déclamait. Gesticulait. Et construisait toute une théorie. Selonlaquelle les libellules ont une âme plus translucide que la nôtre. Maisnéanmoins tout aussi complexe et sophistiquée. Oh combien cruelle, j’t’assure. Ceci justifiant toutessortes de supplices. Et d’expériences. Et d’hypothèses. Vu qu’l’heure est grave, Julien. Le monde est en péril, frérot, voilàla sombre et sinistre vérité. L’empire se disloque à vue d’œil. Tout ou presquese débine, Julien. Sommes encerclés par des armées d’asticot. Condamnés à nousbattre jusqu’à ce que mort s’ensuive... Jetaient alors, dans la bataille,résignés, tout un escadron de guêpes tourbillonnantes. Avant de débusquer,déchainés, un nouveau nid de musaraignes à la trogne proprement effrayante.Décimaient ensuite, dans la foulée, toi à droite et moi à gauche, un tourbillonde mouches. S’acharnaient. S’envolaient. Surprenaient. Réconciliés. T’crois que nous serons toujoursfrères ? Même plus tard ? Même dans dix mille ans ? Même quandla nuit aura remplacé le ciel dans la ronde des saisons ? S’allongeaientalors les yeux dans les herbes. A hauteur de coccinelle. Juste au bord de larivière. Dans le clapotis apaisant des tourbillons. Franchissant le seuil de l’éternité,à peine mais tout de même.   Paul, mon Paul, approch’toi’donc, j’vast’dire un secret. T’m’entends ? Opinait du bonnet. Lui attrapait nerveusementla main qui tremblait. Lui effleurait le front, lentement. Les joues. Leslèvres si sèches qu’elles auraient pu en tomber d’impatience. Tendaitl’oreille. S’enracinait. J’vas t’dire. S’imaginaitun long silence. J’vas t’dire un secret. T’m’entends ? N’entendaitrien, naturellement !