Un centre de formation c’est un peu comme une école ou une colo, sauf que c’est le grand luxe. Les canapés sont grands comme le dernier monospace à la mode, il y a une télé large comme les tableaux à craies qu’on avait du temps du collège et les machines à laver sont capables d’enfourner 100 kil’s de fringues sans même que ça dégueule. Mais surtout, et il est important d’insister sur ce point, il n’y a quasiment pas de clés : tout fonctionne par empreintes digitales. Carnet de bord sous haute surveillance par Jérôme Sivy.
Épisode 1 : Léo Messi & le Viandox
Jour 1
Première étape : la signature de mon contrat et l’identification qui va avec. La direction insiste bien sur le fait que je doive enregistrer plusieurs doigts sur la machine à empreintes digitales, au cas où j’en perdrais un durant mon service. Seconde étape : la socialisation. Rien de mieux qu’un repas entre footballeurs pour faire connaissance. Du moins c’est ce que je croyais. J’arrive et je tente de faire le mec à l’aise devant 26 jeunes qui sont soit plus grands que moi soit plus baraques. C’est pas encore ça. Ça va venir. Je joue le mec cool et on parle de foot alors que le dernier match que j’ai vu c’est sans doute France- Brésil 1998. C’est un échec cuisant mais je n’en démords pas. Je ne vais quand même pas me faire bouffer par des gamins à la tenue plus onéreuse qu’un mois de loyer pour un placard à balai dans le XVIème… Mais voilà qu’arrive le Viandox salvateur (je n’avais encore jamais essayé ce doux fluide). Je le goûte, j’aime, et là, miracle je viens de passer le test d’admission sans même m’en rendre compte.
Jour 2
Je réalise que le milieu footballistique est complexe et qu’il faut y faire preuve de grandes facultés d’adaptation. J’apprends les règles. D’abord : ne jamais prendre le FC Lorient à FIFA 2011 (Oui, car ils ont une PS3, eux), c’est un péché apparemment. Ensuite : On ne serre pas la main, on check ; signe d’intégration sans commune mesure dans le monde des mortels. J’ai aussi été un peu surpris au début car les blancs traitent les noirs de « sales blancs » et les noirs traitent les blancs de « sales noirs ». Mais, au-dessus de tout règne une vanne suprême : « Mange tes oreilles ». L’expression définit – dans le centre de formation – l’échec de celui à qui elle est adressée tant sur un plan humain, social, que footballistique (surtout).
Épisode 2 : Ping-pong, crapauds & aurevoirs…
« Comment ça on fait une tournante, je te rappelle que je suis ton surveillant, pas ton pote. Ah, Au Ping-pong. Bah ouais si tu veux ». Et Bim, me voilà fiché comme un putain de taré – ou alors comme un type qui passe son temps à scruter la rubrique faits divers des journaux de banlieues.
Cela dit, je me demande encore pourquoi j’ai choisi le ping-pong au bac ; même en sélection handicap majeur je suis proche du Zéro absolu, à croire qu’à l’époque je n’avais vraiment pas envie d’avoir mon bac. Bref, quand ils ne jouent pas au foot, ils se rabattent sur le ping-pong. Tellement forts qu’on pourrait croire qu’ils suivent un double cursus pro. En tout cas ce n’est pas encore dans cette discipline là que je deviendrai leur héros.
Jour 3 (ou plutôt nuit)
Cris, réveil en sursaut. Feu de bâtiment, sérial killer ou encore invasion chinoise, tout me passe par la tête. En direct du lieu sinistré, sept jeunes en folie cachés derrière la porte d’entrée. Mais Ouate ze Phoque putain. Je rentre, chambre clean ; RAS comme on dit chez les miloufs. En fait si, y a un crapaud sur le rebord de la fenêtre, voilà qui a donc réveillé la totalité de l’auberge et qui a causé la névrose d’au moins sept jeunes. Ils en ont une peur bleue, au point de croire qu’une fois l’avoir pris dans mes mains et foutu dehors il y avait un risque que ma main ne tombe en lambeau dans les 24 heures ou que je succombe d’une maladie classé attaque NRBC.
Jour 4 (ou plutôt, encore une fois, une nuit. Mais pas une comme les autres, c’est la dernière.)
C’est un peu comme une finale de coupe du monde (sans vouloir tout le temps parler de foot ), ou une soirée rencard avec ton ex de Sixième B : Tu sais que quoiqu’il arrive y’en aura toujours un qui se fera baiser. Je stresse un peu, déjà parce que t’as fait la connerie de dire à certains élèves que c’était mon dernier soir et qu’après je changeais d’appart. Bref ils sont au jus et c’est le plus flippant. Ils vont faire comme Zidane avec Matterazi « Tout fort, tout vite, tout bien ! ».
En fait tout se passe tranquillement jusqu’à 22h, c’est ce que ta mère-grand appellerait le calme avant la tempête.
22h30 : Tout le monde au lit, dur de se faire respecter avec ces gamins, et quand je sais qu’ils touchent environ quatre fois plus que moi alors qu’ils ont 16 ans pour la plupart, « Ça fait mal à l’orgueil »* comme dirait Patrick Viera. C’est, dans les couloirs, entre la bataille de glands et la bataille d’eau. Parfois ils se balancent aussi des glands mouillés (j’ai cela dit jamais compris qu’elle était l’avantage de ça d’ailleurs). Ils adorent crier aussi, mais juste crier, genre ils ouvrent la porte de leur chambre (pas assez pour que je les choppe), ils crient et ils referment la porte… Mon Dieu j’espère que j’étais pas aussi con à leur âge.
La meilleure technique, celle à adopter dans toute situation éducation ZEP, ZUS et tout acronyme comprenant le mot « Zone », c’est encore d’ignorer ces petits cons. Rien de plus vexant que de voir que leur surveillant se bat les couilles de leurs conneries. C’est hyper frustrant pour le jeune, mais pour l’éducateur aussi (car parfois je leur collerais bien un uppercut venu tout droit d’un silo à missile). Quoiqu’il en soit, ÇA FONCTIONNE ; au bout d’un moment ça saoule le jeune qui repart dans sa piaule en mode brainstorming histoire de trouver un plan machiavélique à la Minus et Cortex pour faire faillir l’autorité compétente.
Beaucoup de sudation pour pas grand-chose, de toute façon pour leur faire la bite de m’avoir tenu éveillé jusqu’à 3h ( oui je me levais à 6h ) bah je les ai levé à 6h45 au lieu de 7h. Ça paraît peu comme ça, mais dans la tête d’un ado ça revient à kidnapper son gâteau d’anniversaire le jour de ses 7 bougies.
* Tiré du DVD « Le dernier Match » d’Alix Delaporte et de Stéphane Meunier. Ce film a été un vrai guide spirituel pour moi, un peu comme Rainbow Guy ou Richard Kern (ce mec a un job en or d’ailleurs).
PS : N’hésite pas à applaudir si ça t’a plu, mais seulement si c’est chez toi, ne le fait pas dans le bus qui te ramène en banlieue c’est weird. Applaudit pas trop quand même j’suis pas Zidane.
Photo Ouest France, issue de l’article Encore un 10 sur 10 au bac à l’école du FCL !