Elle est rom et sans papiers, vit dans un squat en banlieue parisienne. Mais le cliché s’arrête là. Linda Mihai, 21 ans, est aussi Meilleure apprentie de France. Elle raconte son histoire dans un français quasi-parfait.
“Quand on a une chance, il faut la saisir”, dit à l’AFP la jeune roumaine, silhouette menue et longs cheveux bruns. “Ma mère m’a dit: +fais ce que tu veux, fonce!+”.
Linda Mihai a suivi le conseil. Elle a décroché le titre de Meilleure apprentie dans sa spécialité, le pressing, en 2010, cinq ans après son arrivée en France. Elle prépare aujourd’hui un brevet de maîtrise avec un centre de formation continue public, tout en travaillant dans une boutique parisienne d’une grande entreprise.
Mais elle n’a toujours pour seuls papiers que sa carte d’identité et son passeport roumains. Une demande de titre de séjour étudiant déposée au printemps 2010 auprès de la préfecture de l’Essonne (près de Paris) est restée lettre morte. Elle en a déposé une nouvelle début novembre. Et elle attend.
Contactée par l’AFP, la préfecture ne précise pas pourquoi la première demande est restée sans réponse. Elle ne dit pas non plus quels sont les délais habituels.
En attendant, les conditions de vie de Linda Mihai restent des plus précaires. Ballottée d’hôtel en hôtel à travers la région parisienne avec ses parents et ses quatre frères et soeurs pendant six ans, elle s’est réfugiée début septembre avec sa famille dans un squat à Viry-Châtillon (Essonne), pour se rapprocher des écoles.
Mais difficile de dormir suffisamment dans un “logement” occupé par une vingtaine de personnes, d’écrire un mémoire sans accès à internet.
Qu’importe, la jeune femme a entamé en octobre sa dernière année de formation, revendiquant son droit à être scolarisée, avec ou sans papiers. “J’étais motivée, je voulais avoir quelque chose”, raconte-t-elle en rendant hommage aux “supers profs” qui l’ont soutenue.
Lorsqu’elle arrive de Roumanie en 2005 pour rejoindre sa mère en région parisienne, l’adolescente ne connaît pas un mot de français. Mais en huit mois de cours en Essonne dans des centres d’aide aux femmes et des classes réservées aux étrangers, elle parvient à maîtriser la langue.
Elle a 17 ans quand elle intègre un collège d’Evry.
De cette période elle se souvient surtout des trois mois passés dans un hôtel parisien, près de la gare du Nord. A une cinquantaine de kilomètres et plusieurs heures de bus et de train régional de son établissement. “Je me levais à 05H00 pour arriver en cours à 08H00″, raconte-t-elle. “Je me perdais, j’arrivais en retard…”
Un an de collège, puis le lycée. En 2010, elle a déjà un CAP Pressing (contrat d’apprentissage) lorsque ses professeurs la présentent au concours de Meilleur apprenti de France. Pari réussi: elle empoche deux médailles d’or et une d’argent dans sa spécialité.
La jeune Rom sans papiers est reçue sous les ors des salons du Sénat avec les lauréats des autres métiers. C’était le 23 février 2011. “Petits fours”, “salle immense, remplie de monde”: “une journée super!”, lâche-t-elle en se replongeant dans les photos-souvenirs.
Sur le site internet de la chambre haute du Parlement, son président d’alors, Gérard Larcher, loue la “dimension sociale et humaine” de l’apprentissage: il “permet aux jeunes de trouver leur place dans notre pays”, écrit-il. Mais pour Linda Mihai, rien n’a vraiment changé. Sous sa détermination pointe aujourd’hui l’angoisse. “Si je n’ai pas de papiers à la fin de l’année scolaire, je ne pourrai pas travailler (…) Parfois on se dit que tout ça c’est pour rien”.