Hier soir, en rentrant chez moi, j'ai ressenti une drôle
d'impression. Un peu plus loin, au milieu de la rue, se tenait une vieille dame qui ressemblait étrangement à ma grand-mère paternelle, morte il y a quelques années. Cette ressemblance m'a saisie.
Je ne parvenais pas à détacher mes yeux de cette silhouette aux cheveux gris-bleus, un peu voutée. Je n'ai jamais aimé ma grand-mère, peut-être parce que très tôt, j'ai compris qu'elle ne nous
aimait pas, ma soeur et moi. Jamais elle ne nous a gardé, enfants, et plus tard, ma mère m'a appris qu'elle avait protesté un jour où elle lui demandait de nous babby-sitter, ne pouvant se tourner
vers personne d'autre, en disant "les gosses, ca chiale et ça pue". Comment une femme qui a élevée quatre enfants peut-elle dire ça ? En tout cas, c'est avec elle que j'ai appris ce qu'était
l'égoïsme. Toute sa vie, elle n'a vécu que pour elle. Juste pour elle, faisant un bébé dans le dos d'un militaire en permission, alors qu'elle ne l'aimait pas. Alors qu'il ne l'aimait pas. Juste
pour ne pas vivre seule.
Un couple sans amour, une mère dure qui, après la mort de son mari parti tôt d'un cancer douloureux, n'a eu de cesse que de monter ses enfants les uns contre les autres (je ne connais pas l'un de
mes oncles, d'ailleurs). Et pourtant, cette femme intraitable, et finalement seule, me fascinait. Je l'épiais du bout de la table, quand elle venait déjeuner chez nous le dimanche. J'essayais de la
comprendre. Elle était mystérieuse, avec une aura indescriptible. Des cadeaux qu'elle nous faisait, emballé avec du papier récupèré, en nous spécifiant "c'est machin qui me l'a donné, je ne
l'utilise pas", au tarot qu'elle tirait parfois... Je ne l'aimais pas ma grand-mère, mais elle me fascinait. Et aujourd'hui encore, rien que le fait d'avoir cru la voir, ca m'a fait quelque chose.
Une réaction épidermique. Elle aura marqué ma vie.