Bloc-Notes, 12 décembre / Les Saules
Il n'est pas surprenant qu'après l'hommage rendu à Vladimir Dimitrijevic dans la revue Le Passe Muraille, en octobre dernier, les éditions de l'Age d'Homme à leur tour rassemblent quelques témoignages autour de cet homme hors du commun, éclairant tour à tour son parcours d'éditeur, ses convictions, ses amitiés. Si vous connaissez mal le personnage, lisez le Petit dictionnaire amoureux de l'Age d'Homme, par Jean-Pierre Baronian. Dans son texte, il évoque les grands noms de son parcours d'éditeur: Henri-Frédéric Amiel, Gilbert Keith Chesterton, Charles-Albert Cingria, Pierre Gripari, Octave Mirbeau, Georges Simenon ou Milos Tsernianski. Il faut y ajouter Vassili Grossman - dont parle Eugenio Corti - ou encore Andréï Biély, Grigori Zinoviev - que mentionne Claude Frochaux - sans oublier, bien sûr, Georges Haldas - que met en lumière Georges Nivat -, Branimir Scepanovic, Dejan Stankovic, Alexandre Tisma, et j'en oublie... !
Mais dans ce présent recueil, ce sont les moments d'émotions partagées avec Dimitri qui soulignent son incroyable diversité - bien au-delà des clivages politiques et religieux -, son ouverture à tout ce qui tressaille, interroge, bouge ou vit, tout simplement, dont le catalogue des éditions de l'Age d'Homme portent le prolongement en littérature. Robert Calasso, par exemple, parle de lui comme d'un passeur et d'un jardinier, séduit par ceux qui ont une certaine démesure de l'âme et débordent du cadre de la réalité, propos auxquels résonnent comme un écho les mots de Dobrica Cosic: Vlamidir Dimitrijevic est le Don Quichotte du livre dans la galaxie Gutenberg. Quant à Jean-Michel Olivier, il use d'une jolie image qui illustre bien ce saint contrebandier: Les gitans vivent dans les caravanes. Lui, qui avait un peu de sang rom, passait le plus clair de son temps dans sa camionnette. Il faisait la navette entre les imprimeries, les librairies, sa maison d'édition. Il était toujours en vadrouille. Il passait l'or en contrebande.
Comme tous ceux qui ont côtoyé Dimitri et ont connu à ses côtés au moins un éclair de folie slave partagée, Jean-Louis Kuffer se souvient d'une soirée où Vladimir Dimitrijevic a récité par coeur les stances de L'ange exilé de Thomas Wolfe, qu'il avait édité: Une pierre, une feuille, une porte inconnue; d'une pierre, d'une feuille, d'une porte. Et tous les visages oubliés. Nus et solitaires, nous vinmes en exil. Dans l'obscurité de ses entrailles, nous n'avons pas connu le visage de notre mère; de la prison de sa chair, nous sommes entrés dans l'inexprimable, l'incommnicable prison de cette terre. Qui de nous a connu son frère? Qui de nous a lu dans le coeur de son père? Qui de nous n'est à jamais resté prisonnier? Qui de nous ne demeure à jamais étranger et seul?
Tous les autres textes qui constituent cet hommage à Dimitri mériteraient d'être cités ici, mais plutôt que d'en parler davantage, courez vite vous procurer - dans une bonne librairie - ce recueil de textes qui brassent un air tonique et frais dans la grisaille ambiante, parfois même au royaume des lettres...
Notre Dimitri - Vladimir Dimitrijevic 1934-2011, textes réunis par Lydwine Helly (L'Age d'Homme, 2011)
pour obtenir le numéro 87 de la revue du Passe Muraille consacré à Vladimir Dimitrijevic: http://www.revuelepassemuraille.ch/index12.html