N’est-ce pas une certaine image de la femme africaine que révèle cette fin : une femme qui prie, une femme de gospel, une femme généreuse, joyeuse. Certes, Robyn Orlin souhaite que les spectateurs rient avec ses Vénus et non de ses Vénus. Elle y parvient bien. Au point que le public rit quand une d’elles fait répéter à une spectatrice les mots dits au tribunal de Londres autour de 1810... rit avant de comprendre ce qui se passe.
Une grande confusion régnait dans la salle quand nous sommes entrés, quand les Vénus parmi le public interpellaient celles et ceux qui arrivaient à propos de ce qu’ils savaient de l’histoire de Sarah Baartman. Il restera une bonne dose de confusion durant tout le spectacle. Cela ne me gène pas outre mesure : Robyn Orlin cherche à faire le lien entre la Vénus hottentote (qu’elle désigne sous le nom de « Vénus noire » pour s’entendre dire aussitôt : pas noire, brune, marron, café au lait…) et le monde contemporain.
Cinq femmes d’origine africaine et venant de divers continents disent les souffrances de la jeune sud africaine morte en Europe au début du 19e siècle, en jouant sur tous les aspects qui en ont fait un symbole (les fesses, la couleur, le sexe), symbole nourrissant un racisme scientifique qui décrétait « l’inégalité des races ». Elles les disent parfois dans des langues que nous ne comprenons pas, nous rendant étrangers à ce qui se présente, et Robyn Orlin signale, dans le programme, qu’elle-même, du fait de l’apartheid, ignore certaines langues d’Afrique du Sud où elle est née, parce qu’elle n’avait pas le droit de côtoyer celles et ceux qui les parlaient.
Elles ne posent pas seulement les questions du 19e siècle, mais aussi celles d’aujourd’hui (l’actrice qui veut arrêter de jouer parce que son métier l’empêche de fêter l’anniversaire de son fils, la perruque blonde de la chanteuse…) dans une sorte de cabaret où les actrices se plient aux desiderata des blancs qui leur demandent de bouger la tête, d’aller ici, de venir là… Mais à mélanger les genres (danse, chant, théâtre, vidéo), à prendre à parti le public et la chorégraphe elle-même, j’ai le sentiment qu’elle nous perd.
Des portraits pourtant défilent sur l’écran au milieu du plateau qui tourne : portraits de femmes sud africaines sans doute, debout, yeux fermés, pour évoquer le moulage que Cuvier, directeur du Muséum d’histoire naturelle, avait fait faire à la mort de cette jeune femme. Ce film m'a touché plus que tout ce qui l'entoure. « Nous sommes toutes des Vénus hottentotes », semblent dire ces femmes d’aujourd’hui. Et de tourner sur elles-mêmes, comme les danseuses des boites à musique, déroulant le tissu qui entoure leur corps, linceul rouge décrivant un cercle en guise de sépulture.
Deux dates s’affichent sur l’écran : 1789 – 2002, naissance – ensevelissement. Mais c’est à partir de cette seconde date que l’histoire prend un nouveau sens. Dans l’histoire des humains et non des dieux.
Il a été plusieurs fois question dans ce blog de Sarah Baartman :
Une biographie écrite par Barbara Chase Riboud
Le spectacle de Chantal Loïal, On t'appelle Vénus
et d'autres textes que vous trouverez en utilisant l'outil de recherche dans la colonne de droite.