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L'appel du petit large

Publié le 10 décembre 2011 par Egea

Chacun connaît le mot de Churchill : "Sachez-le, général ! Chaque fois qu'il nous faudra choisir entre l'Europe et le grand large, nous serons toujours pour le grand large. Chaque fois qu'il me faudra choisir entre vous et Roosevelt, je choisirai Roosevelt". Il s'adressait à De Gaulle, la veille du débarquement en Normandie. Depuis, les observateurs et les Anglais ne cessent de reproduire cette saillie, credo géopolitique de l'Angleterre.

L'appel du petit large
source Mais le grand large existe-t-il toujours ?

1/ Les théoriciens des RI connaissent depuis longtemps la théorie des cercles, pour expliquer les dispositifs de politique étrangère des nations : Il y aurait ainsi le cercle de l'environnement immédiat (pour la France : l'Europe), celui des partenaires stratégiques globaux (pour la France, le lien transatlantique) enfin et selon les moyens disponibles, le cercle des régions avec lesquelles l'histoire a laissé des liens forts (pour la France : l'Afrique francophone).

2/Adaptée à la Grande-Bretagne, cette théorie des cercles s'appliquait traditionnellement selon un ordre de priorité décroissant : 1/ Le cercle transatlantique 2/ le Commonwealth 3/ le cercle européen.

3/ Ainsi, on peut comprendre la position de D. Cameron à Bruxelles hier. Au fond, c'est vraiment un conservateur, car il ne s'agissait dans son esprit que de reproduire la grille traditionnelle. A ceci près que les deux premiers cercles ont perdu de leur superbe. Vous me direz, le troisième aussi : mais il a l'avantage d'être proche et, pour l'instant, de survivre. C'est l'inconvénient du conservatisme : son décalage avec l'évolution du monde.

4/ Plus sérieusement, les Brits ne cessent, depuis vingt ans, d'être mal à l'aise. Au fond, ils vivent encore plus mal que d'autres la fin du monde bipolaire. Ils n'ont jamais su trouver la bonne carburation. Car même eux ne croient plus à leur deuxième cercle, et ils se résolvaient à jouer entre le premier et le troisième. Problème : le premier s'éloigne de plus en plus et même pour l'Angleterre, l'Atlantique devient un océan. Le large s'en va au large. La grammaire churchilienne n'est plus adaptée au monde contemporain. De moins en moins.

5/ C'est pourquoi la Grande-Bretagne avait tenté une adaptation, selon deux lignes stratégiques :

  • la première consistait à coller à une mondialisation financière, et à faire de la City un paradis fiscal branché sur tous les câbles de la planète. Ce que ne pouvait plus faire la sterling, l'opacité financière et les complicités affairistes déployées dans les confettis de Britannia (Jersey, Caïman, Hong-Kong, Singapour, la Barbade....) y réussirait. C'est d'abord ça qu'a voulu défendre Cameron hier à Bruxelles : le privilège de la City d'être une extra-territorialité. Un capitalisme de connivence. Une société de privilégiés.
  • la deuxième consistait à jouer sur un élargissement sans fin en Europe, et donc à transformer l'UE en une grande AELE, où l'ingouvernabilité serait de mise, ne laissant de place qu'au grand marché. Et cela a fonctionné pendant dix ans : les Tchèques, les Polonais et autres Suédois relayant cette vue d'une "souveraineté" retrouvée, aux cris d'un libéralisme triomphant après l’oppression communiste.

6/ Las! la mondialisation ne séduit plus, et si chacun hurle sur la zone euro, tout le monde sait que la situation américaine ou anglaise est pire. Qu'on songe que les Anglais ont perdu 10% de pouvoir d'achat en trois ans, merci la récession et l'inflation qui tutoie les 5 % annuels ! Bref, la souveraineté a bon dos. Surtout que ce qui s'est joué hier, c'est l'abandon des suiveurs européens qui se sont tous ralliés au duo germano-français : certes, il n'est pas très plaisant mais au moins, les joueurs aperçoivent une porte de sortie : aller du côté anglais, c'était choisir l'isolement, donc la faillite. L’Angleterre n'est plus un modèle, et son check and balance habituel ("nouvelle Europe" contre noyau carolingien) n'a pas fonctionné.

7/ Surtout, la Grande-Bretagne se retrouve divisée, alors que chacun croit qu'elle est unie. Oh! je ne parle pas des velléités indépendantistes de l’Écosse. Je parle de la scission entre le centre et la périphérie. Non, il ne s'agit pas, chers lecteurs français, de la distinction entre Paris et la province, pardon, entre Londres et le countryside ; mais entre la City, financière et mondialisée, et le reste du pays, encore un peu industriel et tourné vers l’Europe.

8/ Hier, la City a gagné. Je ne sais pas si le royaume a perdu. Mais vous verrez que le reste du pays reprendra sa revanche, et qu'on verra revenir les Anglais vers l'Europe qui demeure leur voisinage géographique et donc, politique. Chers amis, le grand large n'existe plus !

9/ Pendant ce temps-là, le sommet franco-britannique sur la défense a été annulé : même militairement, la Grande-Bretagne est en train d'être marginalisée.

Non, vraiment, il est temps que les Anglais lisent autre chose que Churchill !

O. Kempf

Références :


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