J'élirais volontiers le village de Marpha comme le plus attrayant de mon trek autour des Annapurnas. Y parvenant, je repère sur le champ la Snow Leopard
Guest House qui surplombe de ses quatre niveaux la plupart des habitations de la localité et je m'y dirige sans l'ombre d'une hésitation afin de profiter de la vue imprenable qu'elle semble
procurer sur son splendide environnement. Une fois de plus je suis l'unique touriste et fort de ce statut me voit attribuer la meilleure chambre - c'est la 110, demandez-la ! - située
au dernier étage et offrant une vision panoramique grâce à ses ouvertures sur deux côtés. Et ce pour le tarif dérisoire de 80 roupies, soit moins de 1 euro ! Je grimpe un peu plus haut encore
jusqu'à la terrasse où tout en sirotant un thé je m'abîme un long moment dans la contemplation du paysage. Magnifique récompense pour le trekker parvenu au terme de son étape.
Vers le sud-est, je peux admirer la pyramide enneigée du Nilgiri North qui, à vol d'oiseau, n'est distant que d'une dizaine de kilomètres. Cette vision est d'autant plus impressionnante qu'avec
son altitude de plus de sept mille mètres il domine la vallée de près de quatre mille cinq cents. Au sud-ouest s'étage le village de Marpha, succession de maisons aux toits plats ornés de
nombreux mâts où flottent de multicolores bannières de prières. A son plus haut, quasiment adossé à la falaise, se tient une majestueuse gompa dont la rutilante couleur brique contraste
avec le blanc chaulé des habitations. La rue principale est pavée de larges dalles, vierges de tout détritus - ce qui n'est pas, hélas, le cas de maints villages du Népal ! -,
elle est bordée d'un chenal de pierre recouvert de lauzes où coule la précieuse eau acheminée de la montagne. A l'amont de la localité, un ingénieux système de micro-écluse permet d'en
régler le débit en fonction des besoins en irrigation. Ainsi, durant la nuit, l'eau a cessé de s'écouler...
La haute vallée de la Kali Gandaki, qui creuse son profond sillon entre les massifs des
Annapurnas et de la Dhaulagiri, est majoritairement habitée par l'ethnie thakali qui depuis plus d'un siècle contrôle le commerce transitant par cet axe majeur entre Népal et Tibet.
Cette contrée est du reste connue sous le nom de Thak Khola. Les Thakali sont sans conteste un peuple très entreprenant qui a su s'adapter à la modernité, notamment à l'économie du tourisme née
dans les années soixante-dix avec l'afflux croissant de trekkers venus du monde entier. Sur cette portion du circuit des Annapurnas, se trouvent, de mon point de vue, les meilleures
infrastructures touristiques du Népal rural.
Le poids de cette ethnie, d'origine tibétaine et parlant une langue appartenant à la famille linguistique tibéto-birmane, est assez faible en termes de population - moins de
dix-mille personnes -, mais fort en termes économiques. Avant le boom du tourisme, et même encore à présent, elle avait le monopole du commerce du sel en provenance du Tibet qu'elle
échangeait contre des céréales - blé, riz... - et des produits manufacturés, tels que de l'huile, des cigarettes, des chaussures en toile ou des articles en coton. En contrepartie de cette
exclusivité que lui accordait le gouvernement du Népal, elle versait à ce dernier une redevance annuelle. La concurrence chinoise a très certainement pénalisé les commerçants thakali sur leur
créneau traditionnel mais leur reconversion réussie dans le tourisme est le gage d'une nouvelle prospérité.
Au lendemain de mon inoubliable étape de Marpha, marquée pour couronner mon départ d'une tashi kata dont l'hôtesse m'enceins le cou, je poursuis ma route en direction de
Tukuche après avoir traversé le village dont la quiétude et la beauté matinales m'inspirent déjà d'y revnir un jour.
Tukuche reste la "capitale" de la Thak Khola bien que les Thakali n'y soient plus les seuls habitants. Le toponyme dérive du tibétain et désigne "une place de commerce du sel", en
conformité avec son ancestrale fonction économique.
Sur la piste poussiéreuse de Tukuche, vient un moment où j'aperçois, me précédant de quelques encablures, une silhouette coiffée d'un bonnet bleu dont l'allure me semble familière... Luc
?
Intrigué, j'allonge le pas et finis au terme de deux hectomètres à m'en approcher jusqu'à la héler. C'est bien lui !... Luc, que je laissai deux jours auparavant au lodge de High Camp et
dont l'équipement sommaire et peu adapté m'instillait un doute quant à sa capacité à franchir sans dommages le Thorong La !