"Bus stop" sur la ligne de la Kali Gandaki !
Depuis mon départ de Kagbeni, hier matin, je rencontre de temps à autre au long de ma route de bien curieux véhicules. Je les ai spontanément baptisés
tracto-bus, étrange néologisme certes, mais qui définit assez précisément ces remorques rustiques attelées à de robustes tracteurs, qui charrient les autochtones d'un village à l'autre via
la piste de la Kali Gandaki. Des privilégiés chevauchent bien des motocyclettes, de fabrication chinoise ou japonaise, mais
ils sont loin d'être légion, de jeunes hommes pour la plupart qu'enlace parfois leur girlfriend installée sur le siège passager. L'apparition récente de cet engin
préfigure-t-elle, d'ici quelques décades, leur sustitution complète aux traditionnelles montures que sont les sympathiques petits chevaux himalayens, du moins sur les tronçons d'itinéraires
"carrossables" ?
Ces fameuses remorques de la "Kali Gandaki Bus Line" sont acheminées - en pièces détachées ? - par la voie des airs jusqu'à l'aérodrome de Jomosom, comme du reste tracteurs,
motocyclettes, réfrigérateurs ou tout autre équipement lourd. Elles ne comportent pas de sièges et les passagers, une majorité de femmes et d'enfants, s'y pressent par dizaines, debout, accroupis
ou assis à même le plancher, au milieu de colis et ballots variés, pour se rendre aux champs, à l'école, en visite...
Quant aux horaires de passage de ces transports collectifs du troisième type, mystère ! J'en observe à toute heure de la journée... Je ne les ai pas testés, préférant en toutes circonstances la
marche, mais j'ai parfois aperçu à leur bord de petites poignées de touristes profitant de l'aubaine pour s'éviter quelques kilomètres à pied dans la vallée ventée.
A l'entrée de Tukuche, en arrière-plan la Dhaulagiri (à g.) et le Tukuche Peak (à dr.)
En dehors de l'agriculture, de l'élevage et du commerce, les habitants de la Thak Kola exercent pour nombre d'entre eux des activités de construction et de travaux
publics.
Bâtir de nouvelles habitations, restaurer des murs de soutènement écroulés à la dernière mousson, relever et remodeler chaque année les terrasses, discipliner l'eau par adduction, élever des
plates-formes ou des murets à vocation religieuse, paver des pistes, entretenir et élargir des voies de communication... Telles sont quelques-unes des tâches vitales qui leur incombent pour
vivre en quasi-autarcie au sein de leur environnement contraignant.
Et tout au long de ma pérégrination, ces scènes où oeuvrent de vaillants bâtisseurs se déroulent sous mes yeux.
Nul besoin d'aller très loin pour se procurer le matériau de base : la pierre est partout, à portée de la main. Elle est prélevée sur l'emplacement même, ou non loin, du chantier. La chaîne de
fabrication occupe une flopée de personnes qui vaquent à leur tâches respectives en parfaite synchronicité. L'organisation du travail est bien huilée. Au début du processus, des carriers extraient
des blocs de la falaise à l'aide d'outils primaires mais maniés avec efficacité : barres à mine, pics, masses... Des tailleurs de pierre leur succèdent pour débiter et façonner au ciseau moellons,
dalles ou pavés. Tous les éclats arrachés à la pierre durant sa mise en oeuvre échoient en bout de chaîne aux ouvriers les moins costauds, généralement des femmes ou même des enfants, qui
s'appliquent avec de simples marteaux à les réduire en graviers. Enfin, la dernière opération vise par tamisages successifs au travers de sortes de vans à obtenir des grains de différents calibres,
dont le plus fin pourra servir à la fabrication d'un mortier.
Alors, celui qui n'en manque pas une miette c'est Luc, mon compagnon de marche sur ces deux étapes "de la pierre", qui exerce lui-même le métier de tailleur de pierre au Québec ! C'est en
professionnel qu'il apprécie et me fait part de leur savoir-faire, de leur tour de main, de leur ingéniosité.
Construction d'un mur et d'une voie pavée à l'entrée de Tukuche