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La singularité de la Grande Guerre risque d'être dissoute"
Nicolas Offenstadt, maître de conférences à l'université Paris-I, spécialiste de 1914-1918 | | 11.11.11 | 10h51 • Mis à jour le 11.11.11 | 18h05
L'historien Nicolas Offenstadt, le 3 octobre 2009, lors d'une rencontre avec "Le Monde des Livres".AFP/MIGUEL MEDINA
Quel sens donnez-vous à l'initiative de M. Sarkozy consistant à faire du 11-Novembre un jour d'hommage aux morts de toutes les guerres ?
Ce que fait Nicolas Sarkozy est le fruit de deux tendances, l'une de long terme, l'autre de court terme. Le long terme, c'est la volonté des pouvoirs de résister à l'inflation commémorative, en rationalisant les cérémonies pour en limiter le nombre, notamment par souci d'économies.
Concernant le 11-Novembre, il y a un précédent. En supprimant les cérémonies qui rappelaient la victoire alliée du 8 mai 1945, Valéry Giscard d'Estaing avait déjà pensé faire du 11-Novembre un jour commémorant plusieurs guerres.
Vous évoquiez aussi une tendance de court terme. Laquelle?
Depuis son élection, Nicolas Sarkozy a fait en sorte que chaque 11-Novembre soit l'objet d'une mise en scène originale. En 2007, il a pris la parole à l'arc de triomphe, ce qui était contraire à la tradition. En 2008, il a délocalisé pour première fois la cérémonie à Verdun. En 2009, il a fait venir Angela Merkel – à nouveau une première. Et, en 2010, il a mis l'accent, avant tout, sur le 11 novembre 1940, c'est-à-dire sur les résistants plutôt que sur les poilus.
Que pensez-vous, sur le fond, de l'initiative de M. Sarkozy ?
Il est légitime de dépoussiérer les commémorations, mais trois choses me gênent. D'abord, je ne vois pas dans quelle politique mémorielle s'inscrit cette décision, sinon dans une politique de “coups”, sans cohérence d'ensemble. Je suis par ailleurs réservé sur la transformation du 11-Novembre en Memorial Day à l'américaine. Jusque-là, le 11-Novembre avait une fonction pédagogique. C'était le moment de l'année où, dans les médias et à travers de nombreuses initiatives locales, l'on revenait sur cette expérience unique que fut la guerre de 14-18. Désormais, la singularité du conflit risque d'être dissoute au prix d'un brouillage qui met sur le même plan des guerres qui n'ont rien à voir entre elles.
Enfin, je perçois un manque de respect vis-à-vis des anciens combattants de 14-18. Quand l'Elysée annonce que ce n'est plus l'armistice de 1918 qui est le seul objet de la commémoration, c'est une façon de gommer le fait qu'ils ont obtenu de haute lutte, en 1922, que le 11 novembre soit une fête nationale fériée honorant leurs camarades disparus.
C'est donc au souvenir même de leur combat mémoriel que l'on est infidèle aujourd'hui. Bref, fusionner les commémorations ne me semble être un gain ni pour l'histoire ni pour la mémoire.
Propos recueillis par Thomas Wieder