A l'Odéon, du 6 au 8 décembre le texte de Pierre Michon le Roi du bois était joué par Bruno Sermonne et accompagné à la viole de gambe. Bien au-delà d’une lecture-musicale, il s’agissait d’une ballade incarnée et vivante, qui révélait toute la poésie et la musicalité de l’écrivain originaire de la Creuse. Une rencontre organisé dans le cadre du cycle "Présent composé" du théâtre.
Une princesse, en forêt, soulève ses jupes pour pisser. Ce menu spectacle, deux êtres l’admirent, trois peut-être : le prince (ou est-ce un marquis ?) qui l’observe négligemment, accoudé à la fenêtre du carrosse, les bras chargés d’autant de dentelles que sa dame n'en a aux chevilles –étoffes qui sont signes, pour lui, de la hauteur de son esprit, pour elle de la douceur de sa chair- ; le jeune porcher, glanant par là, ravi d’observer, en lien et place de ses ineptes bêtes, les poétiques fesses d’une duchesse… ; et enfin le cocher, qui subrepticement, de quelques coups d’œil volés, prend sa part du festin. Ces différents regards symbolisent bien l’ordre d’un monde, et le cloisonnement de ses classes. Le porcher en sortit pourtant, de sa classe, grâce au concours du peintre Claude Le Lorrain, mais ce qu’il vit, derrière les murs de marbres et dans le reflet des argenteries, ne le convainquit pas. Revenu sur ses terres, en plein-air, il maudit le monde.
Le Roi des bois, n’est pas une simple nouvelle se déroulant au 17e siècle, mais un conte, presque une fable (récit qui sert une vérité générale). Pour sa "lecture musicale", le texte n’est absolument pas lu mais joué par cet homme en costume noir et chemise blanche, qui, sur le minuscule plateau entre la musicienne et sa chaise, dans ce salon Roger Blin peint, doré et élargi d’un miroir, nous promène dans les bois, accompagné de la viole de gambe (basse de viole plus précisément) d’Isabelle Saint Yves d'où surgissent, par le frottement, le frappement des cordes ou de l'âme, des gredins, un sanglier, le joli soulier d’une princesse, ou la rumeur du lointain.
En metteur en scène et acteur aguerri (qui a joué entre autres avec Ariane Mnouchkine, Antoine Vitez ou Olivier Py), par son expressivité, le dynamisme de son jeu et sa capacité, en un clin d’œil, de jongler entre les émotions et les personnages, Bruno Sermonne retranscrit le rythme de cette langue poétique et ciselée qui se développe avec force d'adjectifs, de parenthèses et de disgressions, dans un lyrisme et un enthousiasme intarissable, jusqu'à en devenir haletante et effrénée. Si les textes de Pierre Michon, roi de la vivante description, sont très picturaux, la puissance du comédien, ce manant en costume, aide à dérouler devant nos yeux de grandes fresques forestières où percent non seulement les couleurs, les formes, mais aussi les moindres trouées de lumières. Impressionnistes impressionnants que ces deux peintres, Michon et Sermonne. La femme, Isabelle Saint Yves, ponctue l’œuvre d’une touche de basse de viole – instrument Renaissance par excellence-, ouvre et ferme la ballade par un extrait des Illuminations de Rimbaud, ce même poète dont Pierre Michon avait si sensiblement tiré le portrait (Rimbaud le fils).
"Un beau matin, chez un peuple fort doux, un homme et une femme superbes criaient sur la place publique. « Mes amis, je veux qu'elle soit reine ! » « Je veux être reine ! » Elle riait et tremblait. [...]"
Royauté, Arthur Rimbaud
Leur royauté, qui dura toute une matinée, ne fut beaucoup plus courte que celle du porcher...