J’ai décidé de prendre quelques jours de vacances. Un bol d’air du bled ne me fera que du bien. Une dizaine de jours suffit. Le samedi à quatorze heures quarante j’ai pris le vol Marseille Oran, prévu pour douze heures trente, dans un airbus affrété par la mystérieuse compagnie aérienne algérienne Kewkew Airways. Une société privée qui a décollé étonnement plus vite que ses appareils, qui a détrôné en médiocrité la célèbre AA, compagnie étatique, qui en a détourné de nombreux commandants de bord et des centaines d’agents divers, stewards et hôtesses, chefs d’escales et commerciaux, sans que cela n’émeuve qui que ce soit. L’airbus devait prendre les airs à midi-trente. J’ai pris un cachet trente minutes avant l’heure d’envol, soit à midi, comme le stipule la notice du médicament contre le mal des transports. A midi quarante on nous a annoncé un retard dont la durée n’a pas été précisée. « Mercalm » a produit son effet alors que j’étais encore dans la salle d’attente, vissé à un bout de banc métallique et donc froid. En quelques minutes je me suis assoupi car le médicament contient du diménhydrinate et de la caféine… L’envol a eu lieu à quatorze heures quarante alors que j’étais complètement éveillé, alors que la trouille s’égayait paisiblement dans mon ventre mou, au bord de la crise. Je suis resté immobile dans le siège, agrippé à la ceinture. J’aurais bon gré préféré une camisole. Pour congédier ma néfaste appréciation du temps, je posais les yeux sur les lignes d’une page d’un journal ordinaire, puis sur celles d’une autre, puis d’une troisième. Je lisais et relisais, m’attachais à traduire le moindre mot obscur, à lui trouver un synonyme, à guetter d’éventuelles fautes de style, à commenter telle ou telle image, à comparer les couleurs, les caractères, parfois même à chatouiller mes narines avec cette odeur d’encre des rotatives, encore prégnante… J’ai tout lu, tout vu, tout senti. Rien n’a pu m’extraire du canard, pas même la sueur qui perlait sur le nez, sur les yeux, pas même l’hôtesse qui insistait, raseuse « désirez-vous du thé si el-haj ? », « Si el-haj moi, à mon âge, elle n’a pas honte ? » ai-je pensé. Je ne prêtais qu’une attention détachée aux unaccompagned minor qui braillaient, aux allées et venues mouvementées vers les toilettes, aux commentaires déplacés ou non des uns et des autres, qui, pour se donner bonne contenance en réponse aux vibrations de l’engin, se racontaient n’importe quoi en riant. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir à quoi que ce soit d’autre ou si peu. Evidemment de temps à autre une rapide et discrète prière me rappelait à la superficialité de mon être. Je suais alors de plus belle. Je déteste prendre l’avion, vous le savez tous. Lors de l’atterrissage, El-hamdouallah, mes mains sont demeurées agrippées, littéralement accrochées aux accoudoirs du siège jusqu’à ce que les roues de l’appareil crissent sur le tarmac salvateur de la Sénia d’Oran. Peu après je respirai une bassine d’air vicié de la Sebkha, qui s’est engouffré dans la cabine du zinc, aussitôt qu’on ouvrit ses portes. La Sebkha est le nom donné à l’immense étendue d’eau salée et pourrie qui jouxte la ville par son sud-ouest. Vous le saviez ? excusez-moi. Il ne serait pas juste de dire que les formalités douanières furent exécrables. Depuis quelques années, pour démentir les ragots (ou les informations) distillés à l’étranger qui prenaient des proportions incroyables, les responsables se sont pliés en quatre pour redorer le blason de la douane, de la PAF, de la police, des services secrets (El-khawas) pour se faire plus discrets…, des manutentionnaires, des employés et même des gardiens du parking… De l’aéroport un taxi m’a emmené jusqu’à la maison, à Arzew. C’est une belle ville côtière qui se trouve à une quarantaine de kilomètres de là. A l’est. Vous le savez aussi peut-être ? Je suis rentré directement chez mes hôtes qui s’impatientaient. Lamiel a passé dix jours dont elle n’oubliera pas les aléas de sitôt. Cette aventure en effet, est arrivée à Lamiel, oui Lamiel la plus populaire des écrivains maghrébins et la plus respectée pour ses descriptions sans concessions de la société archaïque, intolérante à l’égard des femmes. Elle ne me l’a pas contée lors de son passage express au Salon du livre de Paris en mars dernier, non, pas du tout. Cette histoire je l’ai entièrement inventée. Lamiel est réputée détester les avions. Elle n’en a jamais pris et n’en prendra jamais à ses dires. Quant à moi, chers lecteurs, je vous ai montré qu’il m’était possible aussi d’inventer des textes improbables. Lamiel elle, comme vous, me le pardonnera.
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® Texte de 2009, revisité en décembre 2011 - Cette métalepse s’inspire de Lamiel, un écrit posthume de Stendhal. (Genette in « Métalepse »). ®
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