Magazine Société

La majorité du courage de François Bayrou

Publié le 10 décembre 2011 par Sylvainrakotoarison

Tous ceux qui veulent rompre le manichéisme archaïque, tous ceux qui pensent que le PS n’est plus à gauche, que l’UMP ne répond plus aux enjeux d’aujourd’hui, et même ceux qui voudraient que le FN ait une représentation à l’Assemblée Nationale auraient intérêt à voter pour François Bayrou, le seul « vote révolutionnaire » selon le journaliste Jean-François Kahn ("Le Point" du 7 décembre 2011) car le seul capable à la fois de gagner l’élection présidentielle et de casser le "système" bipolaire.

yartiCourage07La « majorité du courage » est une expression proposée par François Bayrou dans sa déclaration de candidature du 7 décembre 2011 et à laquelle j’adhère complètement. Elle consiste en une majorité centrale qui rassemblera les personnes de bonne volonté pour discuter en toute indépendance et prendre les meilleures mesures face à la crise financière que François Bayrou considère comme une véritable guerre.

« Il est impératif, et à mes yeux d’ailleurs inéluctable, que pour redresser la France se forme, ouverte à tous les réformistes, d’où qu’ils viennent, une majorité du courage. Seul, un Président de la République nouveau, soutenu par le peuple français, libre de ses décisions et de toute dépendance, peut garantir aux Français que les choses vont vraiment changer. » (Maison de la Chimie à Paris, 7 décembre 2011).

François Bayrou, le Clemenceau de l’euro ?

L’idée d’un esprit d’union nationale est d’autant plus prometteuse que l’alternance des majorités d’un camp à un autre de manière hégémonique n’a jamais réglé les problèmes du pays. En trente ans, la droite a gouverné pendant quinze années et la gauche pendant quinze années, et la dette n’a jamais cessé de s’accroître, même pendant des périodes de prospérité économique issue d’une conjoncture mondiale favorable.

D’ailleurs, la Grèce et l’Italie ont déjà adopté ce genre de gouvernement où toutes les forces politiques sont impliquées, même si l’absence d’élection est très regrettable (la France jouit d’institutions qui lui évitent ce genre de manquement à la démocratie).

L’Allemagne aussi avait adopté cet esprit d’union nationale lorsque l’ancien chancelier Gerhard Schröder avait fait adopter l’Agenda 2010 pour faire redémarrer l’économie allemande (avec le succès qu’on sait).

Pour initier une telle majorité en France, il faut justement que le Président de la République, qui est la clef des institutions, ne soit pas issu d’un de ces deux camps car forcément, les élections législatives qui suivront lui apporteraient une majorité parlementaire (l’hypothèse d’une cohabitation reste cependant possible). Il faut qu’il soit l’arbitraire désintéressé de tout esprit partisan, ou plutôt, soucieux du seul intérêt général.

Marine Le Pen pourrait atteindre le second tour de l’élection présidentielle, mais elle ne sera jamais élue. François Bayrou est le seul à pouvoir atteindre le second tour et le gagner en rompant avec la bipolarité artificielle de la vie politique.

L’élection (déjà anticipée par tous les médias) de François Hollande, prisonnier d’un parti socialiste lui-même prisonnier d’accords incertains avec d’autres partis, ne paraît pas le meilleur moyen d’adapter la France à la rudesse des temps mais parallèlement, le rejet de la personnalité de Nicolas Sarkozy est telle que la candidature de François Bayrou se présente, comme en 2007, comme une planche de salut pour bien des électeurs.

Parlons de ce rejet parfois outrancier du Président actuel.

L’antisarkozysme sert Sarkozy

Il est assez remarquable de voir que l’antisarkozysme forcené qu’on peut lire parfois sur Internet dessert plus la candidature de François Bayrou que celle de Nicolas Sarkozy qui, au contraire, grâce à ces attaques incessantes, peut mieux mobiliser ses troupes.

Car l’antisarkozysme appauvrit le débat politique et le pervertit au point de transformer l’élection présidentielle, qui est la seule échéance où le peuple français peut démocratiquement débattre puis trancher, en une sorte de référendum pour ou contre Nicolas Sarkozy. Or, ce qui est important, ce n’est pas l’avenir d’un homme (en l’occurrence le Président sortant), mais l’avenir de la nation toute entière.

Réduire ce débat à un simple antiplébiscite, considérer que si on n’est pas contre, on est pour (et réciproquement), c’est s’aveugler sur les causes actuelles des insuffisances françaises et c’est concrètement refuser que la situation ne change.

Le PS a autant d’intérêts que l’UMP de maintenir des relations parfois douteuses avec des entreprises privées (les exemples de Marseille et du Pas-de-Calais viennent compléter pour le PS la litanie dans l’autre camp). Ce fut très explicite en juin 2005 lors de la privatisation des sociétés d’exploitation des autoroutes qui n’a pas été contestée par le PS et seul François Bayrou s’été élevé contre cette mesure à l’époque (l’avenir a prouvé que cette décision a été très mauvaise et coûteuse tant pour les usagers de la route que pour l’État).

Voir plus loin que 2012

Les partisans d’une gauche "dure" n’auraient aucun intérêt à la victoire du PS : une victoire ferait taire toute contestation au sein de la gauche pendant qu’elle gouvernerait et remettrait à plus tard une pourtant indispensable clarification, qui se fait attendre depuis 1983. Mais l’élection de Nicolas Sarkozy renforcerait elle aussi l’unité du PS dans une opposition systématique (ou dans une nouvelle cohabitation).

L’élection de François Bayrou, au contraire, qui fondera une majorité basée sur des socialistes modérés et une droite fidèle à ses valeurs humanistes, entraînera immanquablement l’explosion de l’UMP mais aussi du PS.

Ce sera la seule circonstance qui permettra à cette gauche dure, qui s’exclura volontairement de cette majorité centrale, de refonder un rassemblement de gauche radicale autour de Jean-Luc Mélenchon et d’Arnaud Montebourg.

Même le FN y trouverait son compte en pouvant imaginer une alliance avec l’aile droitière de l’UMP prête à toutes les compromissions.

Car le vrai clivage n’est plus entre la gauche et la droite. Le vrai clivage s’est révélé au moment du référendum sur Maastricht le 20 septembre 1992 puis sur celui sur le TCE le 29 mai 2005 : entre les partisans d’une France forte intégrée dans une Union Européenne renforcée pour faire face aux défis de la globalisation et les partisans d’un protectionnisme isolationniste plus ou moins réfléchi (qu’ils soient de droite ou de gauche).

Une indépendance courageuse mais utile

Ayant soutenu François Bayrou en 2002 et en 2007, j’avais regretté une évolution qui l’avait rendu isolé au sein de la classe politique alors que paradoxalement, il prônait son rassemblement. Pourtant, avec le recul, je pense qu’il a eu raison d’être resté "neutre" dans le duel de 2007. Cela lui permet aujourd’hui d’être une troisième force indépendante (à l’épreuve des faits) et de rejeter cette pensée binaire qui rejette toutes les nuances et toutes les complexités d’un monde pourtant loin d’être simpliste.

Il est vrai que ce fut difficile pour lui, tant les journalistes sont conditionnés par cette bipolarité qu’on cherche à marteler. Dans la classe politique aussi, ceux qui ne lui veulent pas que du bien surenchérissent sur le même ton ces derniers jours.

Par exemple, son ancien lieutenant Hervé Morin (désormais candidat) explique : « François Bayrou, lui, est dans une partie de poker qui amène ses électeurs à ne pas savoir quelle alliance il conclura après le premier tour. La démocratie a besoin de transparence. » ("Le Monde" du 7 décembre 2011).

Son plus lointain lieutenant Dominique Paillé (maintenant radical, proche de Jean-Louis Borloo) n’est pas plus tendre : « François Bayrou est centriste et les centristes sont des adeptes de l’utilité marginale la mieux rémunérée. Donc, il se vendra au plus offrant. » (I-Télé le 25 novembre 2011). Même Pierre Moscovici y met son grain de sel : « Au second tour, il choisira le vainqueur. » (JDD du 27 novembre 2011).

Or, François Bayrou ne peut pas vraiment être taxé d’opportuniste puisqu’il s’est privé de ministères depuis 2002 alors qu’il était en position de négocier ce qu’il voulait, voire Matignon en 2007.

Sa démarche est en effet complètement différente puisqu’il a réaffirmé le 30 novembre 2011 sur RMC son ambition : « Je me présente pour être au deuxième tour et l’emporter, c’est le but de mon engagement. ». Alors, pourquoi devrait-il choisir entre deux camps qui ne sont pas les siens ?

Parcours sans faute de Bayrou

Depuis septembre 2011, la communication de François Bayrou a été un parcours sans faute. Il a su résister aux tentations très fortes de la petite phrase politicienne et s’est concentré sur le projet qu’il veut proposer aux Français. Produire, instruire, construire une démocratie raisonnable tant en France qu’en Europe, sont les principaux thèmes autour desquels il communiquera. Son approche de la stratégie énergétique est intelligente, dépassionnée et constructive en refusant les solutions toutes faites.

Certes, lors de l’émission "Des Paroles et des actes" sur France 2 le 8 décembre 2011, il a paru un peu déstabilisé par le discours tranchant d’Arnaud Montebourg mais n’a pas perdu de vue sa ligne.

À propos de cette émission avec David Pujadas…

J’aurais cependant deux réserves avec ce qu’il a développé : d’une part, il est favorable au droit de vote des étranger aux élections municipales (j’ai déjà évoqué ce sujet), et d’autre part, il a prôné une sorte de patriotisme du consommateur.

yartiCourage06Sur ce dernier point, il n’a pas vraiment su répondre à la grande différence de prix entre un produit fabriqué en France (ou en Europe) et un produit fabriqué à l’étranger (en Chine par exemple) si ce n’est pas en proposant une prise de conscience avec accessoirement un logo sur tous les produits indiquant le pourcentage de valeur ajoutée revenant en France.

Ce qui est contestable, dans cette proposition, à part l’aspect prix qui est relativement dissuasif et l’aspect "patriotique" assez dépassé dans un monde globalisé, c’est qu’on ne réduira pas le déficit de la balance commerciale (73 milliards d’euros) en favorisant la fabrication en France. Ce qui est important, c’est que la France prenne la plus grosse part de la valeur ajoutée des produits consommés mais surtout d’offrir sur le marché de nouveaux produits de consommation, et il y en a beaucoup (les smartphones par exemple).

L’exemple de l’iPhone est instructif : vendu 179,00$, il est composé de produits américains (3G, Bluetooth, pièces audio), japonais (mémoire flash, écran plat), sud-coréens (microprocesseurs) et allemands (caméra et wifi), et il est assemblé en Chine. Mais l’industrie chinoise ne capte que 6,50$ soit à peine plus de 1%. Pourtant, dans les statistiques, les États-Unis ont un déficit commercial de presque deux milliards de dollars pour ce produit alors qu’ils encaissent l’essentiel de sa valeur.

Cela dit, le thème du "acheter français", même s’il ne me paraît pas judicieux économiquement, pourrait être très attractif électoralement.

Différences avec 2007

L’une des questions sur la candidature de François Bayrou porte sur sa récurrence et sa nouveauté. En bref, qu’aurait-il de plus à proposer qu’il y a cinq ans ?

Je pense qu’il y a deux principales différences dans la situation actuelle par rapport à la campagne de 2007. Une interne et une externe.

La première, c’est la psychologie du candidat. C’est un peu stupide à le dire mais un candidat qui n’a pas dans sa tête l’idée de gagner a peu de chance de gagner (par exemple, Lionel Jospin en 1995). François Bayrou a admis qu’il n’avait pas cru qu’il aurait pu être élu en 2007. Plafonnant longtemps dans les sondages, il a surgi comme "troisième homme" en février 2007 mais n’a pas su réembrayer en mars pour "capitaliser" son nouveau palier.

Et surtout, il n’avait pas vraiment "réfléchi" à sa future majorité, la question : avec qui gouvernerait-il ? C’est la seconde différence : alors qu’en 2007, l’atmosphère était plutôt bayroufuge, aujourd’hui, la classe politique est naturellement attirée par François Bayrou. Il faut dire qu’il avait su prévenir de l’impasse de l’endettement de l’État bien avant la crise des dettes souveraines.

Certes, les arrière-pensées sont multiples, mais il est intéressant de noter que de Jean Léonetti à Manuel Valls, ou même de Nadine Morano à Pierre Moscovici, le directeur de campagne de François Hollande, en passant par Eva Joly, beaucoup de personnalités politiques ont exprimé ouvertement leur sympathie et intérêt à la démarche politique de François Bayrou qui a déjà rassemblé autour de lui certains anciens UDF de l’UMP ou du NC comme les anciens ministres Bernard Bosson, Anne-Marie Idrac et Alain Lambert.

Perspectives historiques

On peut toujours trouver en François Bayrou un peu de candeur à croire qu’on pourrait rompre avec ce clivage gauches/droite dans des institutions dominées par le second tour de l’élection présidentielle au suffrage universel direct qui forcément oppose un camp à l’autre.

Pourtant, le peuple français a déjà, par deux fois, apporté la preuve que ce clivage n’était pas inéluctable. Il l’a fait le 1er juin 1969 en hissant au second tour Georges Pompidou et Alain Poher (les socialistes menés par Gaston Defferre ne firent que 5,0% et la gauche était essentiellement représentée par le communiste Jacques Duclos avec 21,3%), et il l’a refait le 21 avril 2002 en plaçant au second tour Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen (le candidat socialiste Lionel Jospin ayant raté de peu sa "qualification", de très peu, à 0,7% près).

Et il n’aurait pas été impensable que cela se passât aussi de cette manière le 23 avril 1995 où il était beaucoup question d’une rivalité (uniquement personnelle) entre Jacques Chirac et Édouard Balladur et le 22 avril 2007 où François Bayrou, s’il avait poursuivi sa montée dans l’opinion, aurait pu dépasser Ségolène Royal.

En fait, ce ne sont pas les institutions de la Ve République qui ont instauré le bipartisme en France, mais l’union de la gauche en 1972 qui a poussé les centristes à s’allier avec les gaullistes (qu’ils combattaient alors depuis plusieurs décennies). Or, cette considération n’a plus cours depuis l’effondrement du Parti communiste français et surtout, depuis que le Parti socialiste est redevenu régulièrement un parti de gouvernement l’obligeant à adopter un discours pragmatique et responsable.

L’union nationale depuis 1958

Sans remonter aussi loin qu’à Georges Clemenceau pendant la Première guerre mondiale, l’union nationale a été mise en pratique le 1er juin 1958 par De Gaulle en incluant dans son gouvernement des responsables gaullistes et des républicains indépendants, certes, mais aussi des centristes du MRP (Pierre Pflimlin, Edmond Michelet, Robert Buron, Pierre Sudreau, etc.), des radicaux et des socialistes (Guy Mollet, Max Lejune, etc.).

Cela n’a pas duré longtemps (en raison de dissensions européennes) mais a été suffisant pour bâtir une nouvelle République et faire redémarrer l’économie française avec le plan Rueff.

Par la suite, les rares volontés politiques d’instaurer cet esprit d’union nationale ont toutes échoué pour des raisons électorales ou politiques.

Pour sortir de son alliance avec les gaullistes, le Président Valéry Giscard d’Estaing aurait rêvé d’une alliance UDF-PS à l’issue des élections législatives de mars 1978 mais la ligne ferme de François Mitterrand de rester sur une alliance PS-PCF l’a rendue impossible.

En décembre 1994, celui qui aurait pu faire ce « compromis historique » selon le mot de Raymond Barre (qui y était hostile) était Jacques Delors (qu’admire François Bayrou) mais il avait renoncé à se présenter.

Le 5 mai 2002, élu à 82,2%, Jacques Chirac aurait dû promouvoir l’union nationale, mais il a préféré profiter des circonstances pour créer l’UMP et imposer son hégémonie à droite et au centre.

Enfin, François Bayrou prônait déjà cette majorité du courage en 2007 mais a échoué à l’issu du premier tour.

Évidemment, cet esprit sincère et novateur n’est pas à confondre avec le principe de l’ouverture, pratiquée par tous les Présidents postgaulliens (Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand, Chirac et Sarkozy) qui n’a été qu’un débauchage individuel de personnalités issues du camp d’en face.

Une nouvelle étape

La position de François Bayrou est cohérente et n’a pas bougé d’un pouce depuis plus de quinze ans puisque dès son élection à la présidence du Centre des démocrates sociaux en décembre 1994, il avait déjà souhaité la constitution d’un rassemblement d’Édouard Balladur à Jacques Delors.

L’élection présidentielle de 2012 sera donc l’occasion, rare et préciseuse, de promouvoir cette majorité d’union nationale, rassemblant au-delà d’une division manichéenne des Français, et cela pourra être une nouvelle étape de la Ve République qui a montré sa souplesse et sa solidité, après l’alternance (en mars 1981) et la cohabitation (en mars 1986).

Je forme le vœu que François Bayrou parvienne à convaincre les Français de cette nécessité.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 décembre 2011)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Au cœur de l’être humain.
Déclaration de candidature de François Bayrou (texte intégral).
L’union nationale.
L’année 2012.
La famille centriste.
L’ouverture chez les Présidents…
yartiCourage09


Retour à La Une de Logo Paperblog