Quand l'homme politique et l'écrivain décident de faire cause commune, cela donne Antifa, un manifeste antifasciste, publié aux Editions Tatamis ici, où la dérision le dispute à l'esprit ravageur, où les bons mots du débateur voisinent avec les syllogismes volontairement absurdes de l'homme de lettres.
Afin de répondre à Stéphane Hessel, l'indigné en chef, le député valaisan s'est mis dans la peau d'un indigné de base, partisan forcené à la fois de l'avortement et de l'euthanasie en raison de... "la cruauté de la vie".
Ada, la copine de cet indigné lambda, fait de plus en plus passer le sauvetage improbable du monde avant la bagatelle, ce qui est d'autant plus cruel pour son copain qu'"elle a un de ces culs, Ada" et qu'il en est de plus en plus réduit au self-service. Alors qu'il est en perdition, il a la soudaine révélation de l'indignation qui sauve, l'indignation contre tout et rien :
"C'est fou ce que ça donne un sens à la vie, l'indignation." remarque-t-il, ravi.
Le comble de l'indignation ? De se trouver "face à des gens qui se permettent de ne pas être indignés", alors qu'il y a tant de raisons dans le monde d'être indigné ne serait-ce qu'au vu des manifestations de la nature, dont la cruauté est peut-être acceptable à la rigueur chez les animaux, mais inadmissible chez les humains.
Les humains ? Tous des victimes, dont certaines "ont la fâcheuse tendance à devenir des bourreaux". Il en est ainsi de juifs qui sont devenus fachos et qu'il convient alors d'appeler israéliens ou sionistes, faut pas confondre. Quand les nazis boycottaient les magasins juifs dans les années 1930, c'était de l'antisémitisme. Mais boycotter aujourd'hui les produits israéliens, c'est faire acte de résistance...
Au premier rang des victimes ? Tous les criminels, "sauf les riches, les curés pédophiles et le pape", bien entendu.
Le monde n'est composé que de catégories, de minorités, qui forment une majorité plurielle. Alors que les fachos ne sont pas une catégorie, mais un état d'esprit qui peut être corrigé, pour les sauver, en les aplatissant. Rien à voir avec la violence. D'ailleurs :
"Nous, par exemple, on ne brûle pas les livres. On n'est pas des barbares. On les interdit." dit-il avec fierté.
Pour un antifa digne de de nom :
- La vérité n'existe pas. Prétendre le contraire, c'est facho. De même "le discours fonde la réalité". Pas l'inverse. Les faits sont fachos, donc indéfendables : c'est pourquoi "l'homme se libère du réel".
- En matière d'éducation il ne doit plus y avoir de punitions, plus de contraintes, plus de principes moraux : il faut niveler par le bas afin que tout le monde puisse y descendre; il ne faut plus rien imposer aux enfants, mais négocier avec eux.
- L'Etat n'est pas au service des citoyens, c'est l'inverse : "Le paradis sur terre existe, et l'Etat-providence est son prophète !".
- Les états sont trop nombreux. Il faut que les frontières disparaissent et qu'un état général, universel, planétaire dispense "le bonheur partout".
- L'éducation sexuelle mise en pratique doit permettre aux enfants d'être des victimes conscientes si un adulte non-autorisé abuse d'eux.
- "La sexualité est une et multiple à la fois".
- Seules les intentions comptent, pas les actes. C'est pourquoi les fachos sont méchants et les antifa gentils.
- Un facho ne peut pas être un humoriste, ni un écrivain génial. Point barre. Tant pis pour Céline !
- "Le prochain n'est jamais aussi proche que quand il est lointain" et c'est encore mieux quand le lointain prochain immigre et met la misère à portée de main : "ça diminue les frais de transport"...
- L'excuse est le corollaire de l'indignation.
- Le capital doit être éradiqué : "Tout le monde sera pauvre, mais la pauvreté n'est-elle pas notre seule dignité ?".
- Tout change : ainsi celui qui doit tenir une promesse n'est plus celui qui l'a faite...
Le livre se termine par une description irrésistible de la vie en communauté, dans laquelle Ada a entraîné l'auteur du manifeste antifa. Je laisse au lecteur le soin de découvrir quel sort cruel lui est réservé.
Cet indigné aspire alors, pour s'en sortir, à devenir socialiste : faut-il qu'il soit désespéré ?
Oskar Freysinger force-t-il le trait ? Un poco, ma non troppo...
Francis Richard