En Etat de poésie (2) : Roberto Juaroz
« Taire quelques poèmes,
ne les pas traduire du silence
ne les pas vêtir de leurs figures
ne les pas pouvoir formuler, même :
qu'ils se concentrent tels oiseaux immobiles les laisser
en la branche enterrée.
Seul ainsi naîtront d'autres poèmes
Seul ainsi le sang se fraie passage
Seul ainsi la vision qui nous incendie
se multipliera comme les pains.
Les poèmes non-dits
nous prouvent que le miracle est toujours jeune.
Et, à la fin, lorsque tout s'enmutera
il se peut que ces poèmes
fasse surgir quand même un autre poème. »
Roberto Juarroz 15 in Duodécima poesia vertical
(Translation : T.J)
Dans un entretien avec Guillermo Boido (in Poésie et Création, Unes, 1987) le poète argentin Juarroz, à dit : « La poésie, ne consiste pas seulement à nommer. La parole renonce, en poésie, à l'une de ses fonctions apparemment irrécusables qui consiste à appliquer à chaque chose ce qui la nomme ou la convoque. La parole poétique ne se borne pas à nommer, mais en outre dénomme. Si l'on nomme dans un premier temps, et dénomme dans un deuxième, il est permis de supposer que la parole remplit une troisième fonction, accède à une troisième étape seulement accessible en poésie, qui consisterait à transnommer, en quelque sorte. » (Cité in Michel Camus, « Un Nouveau monde, le troisième », présentation à Douzième Poésie Verticale, La Différence, collection Orphée, 1993)
La parole, en l'état de poésie, renonce. Elle se soumet bel et bien à une kénose. La poésie est l'état apophatique et kénotique de la parole. Et, la troisième étape, qui surgit et terrasse le dialogue clos du dualisme, transnomme, ce que j'invoque pour ma part sous le nom de « translation »...
Ne pas les traduire du silence... Ne les pas translater depuis le fort du mystère silencieux intérieur.
Depuis l'internel non-où ne les pas jeter vers le dehors. Ne leur assigner ni lieu ni figure. A certains poèmes... Qu'ils demeurent, indits, saintes reliques bientôt toutes translucides de l'énergie indicible.
« Excès d'écriture.
Sur tout il y a quelque chose d'écrit,
que nous ne déchiffrons qu'à moitié.
Tout est un palimpseste
qui ne s'efface qu'en partie
et multiplie ensuite ses couches d'écriture.
Le silence lui-même est écrit.
Nous ne pouvons
effacer une seule lettre.
Nous ne pouvons pas non plus
ne pas écrire par-dessus.
Mais un compromis est possible :
écrire vers l'intérieur.
Là, comparativement,
il y a beaucoup moins d'écrit. »
(in Douxième Poésie verticale,
traduction de F. Verhesen)
Il chante encore ceci le poète : « Améliorer notre alphabétisation : apprendre à lire de l'autre côté de l'esprit. » Apprendre à dé-lire, à chanter en soufflant, contrelire. « Désapprendre son languisme » dirait Novarina ! Se défaire des liens trop serrés de la langue matièrenelle pour aller au bord du précipice dans lequel souffle l'Esprit...
« Seule la constante imminence de la chute
aide à coloniser provisoirement la chute. » (Juarroz)