Le Rafale au cœur d’une mauvaise polémique.
Gérard Longuet, ministre de la Défense, n’a pas commis la moindre erreur, si ce n’est qu’il a trop parlé : le complexe militaro-industriel français (comme ailleurs) se complait dans les précautions oratoires, évite soigneusement d’évoquer en public les sujets qui fâchent et ne reconnaît jamais ses torts. De plus, tout programme militaire d’une certaine ampleur affiche une durée de vie de 30 ou 50 ans tandis que les ministres survivent tout au plus quelques années dans leurs fonctions. Dans ces conditions, comment tenir un débat utile ?
Sur la Chaîne parlementaire, Gérard Longuet a dit ce qu’il pense, avec candeur. Voire naïveté : il va de soi que la production du Rafale s’arrêtera …quand il n’y aura plus de commandes à honorer. Rappeler que l’avion de combat polyvalent de Dassault Aviation dépend exclusivement de l’armée de l’Air et de l’Aéronautique navale, faute d’acheteurs étrangers, est une évidence. L’industriel se maintient tout juste au-dessus de la ligne de flottaison en produisant onze Rafale par an, un minimum vital qui doit le mener, en supposant que rien ne change, jusqu’en 2028. Cela, bien sûr, en supposant que les objectifs du Livre blanc sur la Défense ne soient pas revus à la baisse. Une hypothèse qui, pour l’instant, n’est pas envisagée.
Le problème qui est posé tient d’une règle vieille comme le commerce, l’adéquation entre offre et demande. Le Rafale est un système d’armes exceptionnellement performant et, de ce fait, il coûte cher, environ 150 millions d’euros «fly away». Il fut conçu il y a un peu plus de 25 ans, en pleine Guerre Froide, à une époque sans rapport avec celle que nous vivons aujourd’hui : il était alors question de «l’ennemi éventuel» et non pas de la crise de l’euro et de la prise de pouvoir des agences de notation.
L’Europe des avions de combat avait explosé en vol, au cours de l’été 1985, une situation qui allait mener à la délicate dualité Rafale/Eurofighter. Un luxe inouï pour l’Europe, devenu injustifiable quelques années plus tard, mais à un moment où toute marche arrière était devenue impensable. De toute manière, les Forces françaises trouvaient là l’occasion de procéder à une opération de rationalisation opérationnelle d’une ampleur sans précédent, le Rafale devant à lui seul succéder à sept types d’appareils : l’appellation multirôle était parfaitement justifiée.
La suite des événements a fait intervenir un scénario que personne n’avait prévu, ou osé prévoir : la disparition du Mur de Berlin, la fin de l’URSS, l’irrésistible tentation de toucher les dividendes de la paix, pire celle de baisser la garde. Du coup, le marché potentiel accessible au Rafale s’est contracté, les tensions budgétaires faisant le reste. D’où l’inévitable rupture entre l’offre et la demande, illustrée, ces jours-ci, par le choix des Suisses, réaliste, qui sont partis du principe qu’on ne sort pas une Testa Rossa du garage pour faire un saut chez le boulanger.
Dassault et le consortium Eurofighter vont continuer à se disputer une cible de plus en plus étroite. Lockheed Martin, en admettant que le F-35 Joint Strike Fighter sorte du bourbier budgétaire qui le met actuellement en grand danger, tentera de parfaire ses premiers succès et des outsiders tenteront également leur chance, à commencer par les Russes. Mais, quelle que soit la manière de poursuivre l’analyse, il manquera à Dassault un avion de combat monoréacteur, simple (simplifié) qui s’inscrirait dans une catégorie proche de celle du Gripen ou de la version armée du Hawk.
C’est bien là que le bât blesse. Il y a très longtemps, à l’initiative de son PDG de l’époque, Benno Claude Vallières, Dassault avait envisagé le développement d’un tel appareil minimaliste extrapolé du Super Etendard. Aujourd’hui, on est en droit de regretter que cette idée n’ait pas été poursuivie, tout comme on voudrait qu’apparaisse un Alpha Jet remis au goût du jour et capable de contrer, par exemple, l’ambitieux M346 italien. Si rien de tel ne se produit, avec les encouragements volontaristes de l’autorité de tutelle, il n’y aura tout simplement pas d’après-Rafale.
Pierre Sparaco - AeroMorning