Au départ modeste gratte-papier pour un chef que je ne connaissais même pas, j’ai réussi à progresser dans la boîte en l’espace d’une petite dizaine d’années, à force de pondre des études que personne n’a jamais réellement lues. Un jour je suis monté en grade à l’occasion d’un départ à la retraite et je m’occupe désormais de l’Europe, et de la France en particulier (j’avais pris français en 1ere langue au collège…). « Analyste de la zone Euro », ronflant le poste… De ce fait, j’ai troqué mes costards à 100 € pour des Armani (qui me serrent toujours un peu à l’entre-jambes), mes pompes de la Halle aux chaussures pour des Berlutti (qui puent) mais au final, je continue à pondre des rapports truffés de chiffres et sans savoir qui les lis vraiment, je suis toujours dans le même bureau de 6m2 avec mon vieil ordinateur jaunasse pourri et je colle toujours mes crottes de nez en dessous de ma chaise.
La vraie différence c’est que quand j’appelle le Trésor à Paris, ils de donnent du monsieur à toutes les phrases, qu’on m’accueillent comme un chef d’Etat quand je passe consulter les comptes car à la fin, croient-ils, c’est moi qui mets une bonne note à la France … ou pas !
Avant ça passait, on s’en foutait un peu en fait, mais depuis la crise de l’immobilier privé américain, on a eu la consigne de la direction générale de plus filer le triple A comme ça : faudra qu’on soit « rassurés ».
Et puis surtout, depuis quelques semaines, je commence à être connu : Kramer par ci, Kramer par là, flatteur mais je sais bien ce qui va se passer un jour : mon chef va me dire de pas filer le AAA à la France et Sarkozy va me faire porter le chapeau, faut toujours un lampiste, je suis pas naïf…
Mon grand chef chez Standard & Poor’s international je sais toujours pas qui c’est mais c’est vraiment lui qui décide. Je sais qu’il y a des élections en mai chez vous et l’autre fois chez Mac Donald’s, en mâchant mon Burger, j’ai eu une intuition, celle d’un scénario déjà écrit à l’avance qui se résume à faire monter la pression sur la France jusqu’en mars puis au final, annoncer que votre grand plan d’économies (assez modeste en fait) et l’engagement d’une « règle d’or » ont permis à la France de garder son triple A.
Tout le monde s’en sortira parle haut : le système, qui continuera sa folle fuite en avant à crédit, mon agence de notation, que vous remercierez et respecterez, moi qui aurai une promotion et Sarkozy qui sera réélu haut la main dans la posture du sauveur.
Peut-être que je me trompe… peut-être pas, j’en sais rien. La réalité c’est que j’attends le coup de fil de mon chef, juste après le sommet européen, qui me dira quoi vous dire au nom de Standard and Poor’s.
A bientôt,
Moritz