EXALTATION
Le fouet l’épée non pas
Le poing non pas non
Le frappement salit,
Toute vague même océane
Manquerait de sable et de sel
Pour laver en la paume blanche
Le souvenir d’un manche
L’ignominie de l’arme,
Répondre au violent violemment
M’aliène ou bien m’ennuie
La haine triste nœud du bois
N’étrangle que les branches basses,
Faut-il que je le fasse entendre
Voici je le dis je le crie
Je ne vis que pour aimer
J’aurai vécu illuminé
Par des astres extérieurs
A mon ciel que peu je regarde,
Et si je puis être violent
C’est seulement
Si quelque porc nuit à l’aimée
Si quelque chien pisse ou aboie
Sur la trace d’un ami,
Alors l’insulte et le poing
Reprennent leur juste poids,
La canne en la main s’approprie,
Le chalumeau de la colère
Lance une flamme fusante
Où tout nuage s’atomise
Qui eût risqué d’assombrir
L’éclat de mon étoile,
À vivre ainsi je m’exalte
Mourir m’amusera peut-être,
Je mourrai sans désaimer
André Pieyre de Mandiargues, L’Age de craie, suivi de Dans les années sordides, Astyanax et Le Point où j’en suis, Poésie/Gallimard n° 455, décembre 2009, p. 385
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BÛCHERON DES SOLITUDES
à Bernard Noël
Bûcheron des solitudes
Le nègre de la forêt souabe
A quitté son gant rouge unique
Pour s’accorder un plaisir,
Dans le cercle spacieux
D’une clairière enneigée
Ses doigts ont modelé
Une fille de neige
Deux fois plus grande que nature
Et nue totalement
Comme si l’avait effeuillée
Le pur froid de janvier,
Ogresse horrible de clarté
Que l’on ne pourrait sans peur voir
Dressée par levain boréal
Aussi haut qu’un jeune sapin,
Et qu’on n’aurait osé non plus
Écouter en confidence
Si ses lèvres supérieures
Tenaient avec celles d’en bas
Le conciliabule obscène
Que parfois la froidure impose
Au bâillement des orifices,
Debout devant les cuisses vastes
Le bûcheron leur inflige
La brûlure d’un jet sublime
Qui les fera fondre un peu
Au coin de l’enfantillage
Et du sorbet de citron,
Vexation juvénile
Que perpétuera le gel
Jusqu’au retour du soleil
Dont l’ardeur initiale
Aura l’effet magistral
D’allumer une infamie rose
Sous le glacial azur.
André Pieyre de Mandiargues, Écriture ineffable, précédé de Ruisseau des solitudes, de L’ivre Œil et suivi de Gris de perle, édition établie par Claude Leroy, Poésie/Gallimard, n°454, décembre 2009, p. 164.
André Pieyre de Mandiargues dans Poezibao :
biobibliographie, extrait 1, notes sur la poésie, extrait 2, ext. 3