Notes sur la création : Jean-Paul Goux

Par Florence Trocmé

La syntaxe n’est ni une architecture, ni une armature, ni un squelette, elle est une force ; ou bien, comme l’écrit Pierre Alféri : « La phrase met en rythme une force. » Ce qui rend sensible cette force, c’est son élan, son mouvement vers l’avant ; et puisque chaque écrivain fait d’une construction grammaticale autre chose qu’une armature ou un squelette, c’est évidemment à lui d’inventer les moyens par lesquels l’élan de la syntaxe manifestera la force qui propulse en avant. On a proposé quelques hypothèses quant à l’origine de cette force, on pourrait dire maintenant qu’elle existe, pour l’écrivain comme pour le lecteur, par le déséquilibre moteur où elle les place l’un comme l’autre. Ce qui fait bondir une phrase, ou ce qui la tire vers l’avant, c’est le mouvement créé par son attaque, ce « creusement d’un moule encore vide doué d’une force de succion sur le magma verbal, cet élan aveugle de pensée qui “tire sur la phrase” » qu’évoque Gracq en précisant un peu généreusement qu’il y a là une expérience que « tout écrivain connaît parfaitement ». Il faut voir dans cette expérience d’un vide aspirant ou d’une propulsion que constitue l’élan initial de la phrase une expérience très élémentaire du désir : et nul doute qu’aucune phrase ne rendra jamais sensible la moindre force si elle n’a pas été portée, dès son attaque, par ce désir. On peut nommer ce désir sentiment d’un déséquilibre qui appelle un rétablissement, ou bien un « porte-à-faux », comme le dit Gracq au sujet de la phrase célinienne. 
 
Jean-Paul Goux, La Fabrique du continu, essai sur la prose, Champ Vallon, 1999 p. 127 

[choix de Jean-Pascal Dubost]