Nom (Name) est un livre d’Alan Davies paru aux Etats-Unis en 1986 et traduit en 2011 par Martin Richet pour les éditions Le clou dans le fer1. Nom est le nom d’une personne et n’est le nom de personne : on peut lire cette suite de courtes séquences comme la recherche et l’évitement simultanés d’un sujet, une histoire d’amour compliquée entre langage minimal et narration sentimentale. Le livre évoque d’abord la figure de l’auteur sous la forme de remarques parodiant la froideur structuraliste (et donc le devenir ultime de la neutralité littéraire : notices techniques, langage commercial et scientifique) : « Dans la vie les éléments clés sont / ce qu’il y a de plus petit. / Les écrivains sont / des morses. Qu’ils aillent se faire foutre. ». Le véritable sujet (amoureux, donc) de Nom s’invite ensuite dans l’écriture, au cours de l’écriture. Il est alors successivement évacué et réintroduit dans le langage comme dans un circuit d’air conditionné.
Car le mot « nom » est aussi un nom qui se désigne lui-même. Nom est donc un nom au carré, un « nom de nom ». On peut voir ce titre comme un double hommage (ou une double parodie) au nominalisme très en vogue dans la poésie des années 1970 et au genre opposé du poème courtois : « Nom, je fais une fois de plus ce qu’il faut, / en ton honneur. ». Parfois la sensualité produite par le texte est assez affolante, comme dans cet extrait où littéralité et tentation métaphorique s’attirent et s’excluent mutuellement : « Il y a des bouts de ponctuation / qui te contiennent. / Tu veux savoir / si tu es dans ce poème. Non. / Tu n’y es pas. / Tu n’y seras jamais, dans ce / poème, ce point de repère. / Tu as de petits seins blancs aux / pointes blanches. ». Ici la ponctuation devient poésie concrète, métaphore littérale. L’idée du poème autonome est sans cesse confirmée puis contredite. Ces rapprochements risqués et soudaines prises de distance créent un style, une intonation bien particulière.
Le style de Nom ne semble pas être le fruit d’une procédure préétablie mais d’une écriture qui se génère elle-même, qui s’autoproduit : « Si les dispositifs échouent les stylos / tombent et se mettent à la récolte. / À cette récolte. Cette récolte, / élément du discours, / ouvre sur une autoroute, / élément d’un élément du discours. ». Nom invente une langue qui progresse par et contre son sujet, une langue qui s’en fout mais qui ne peux s’empêcher de s’écrire : « Addiction. / Addiction. ». Et c’est tout l’intérêt de ce livre : montrer qu’il n’y a pas d’écriture sans désir, de méthode sans laisser-aller, que la « qualité » littéraire n’est ni le but du poème, ni la conséquence naturelle du « sérieux » du poète, que la poésie impersonnelle n’est pas le contraire de la poésie personnelle.
[Hugo Pernet]
Alan Davies, Nom, traduit de l’américain par Martin Richet.
1 Edition originale : This, San Francisco, 1986. J’avais déjà eu l’occasion d’en lire quelques séquences (traduites par Denis Dormoy et Françoise de Laroque) dans 49+1 nouveaux poètes américains, l’anthologie d’Emmanuel Hocquard et Claude Royet-Journoud (éditions Royaumont, 1991).