Irène comprit dans un instant de lucidité terrible qu'ils allaient vraiment vivre là. La cabane ne serait jamais montée comme il faut. Elle ne leur offrirait pas ce dont ils auraient besoin. Mais ils y vivraient tout de même. Elle pouvait voir cela avec une clarté absolue. Et bien qu'elle eût envie de dire à Gary de vivre là tout seul, elle savait qu'elle ne pouvait pas car c'était le prétexte qu'il attendait. Il la quitterait pour toujours et elle ne supporterait pas d'être quittée à nouveau. Cela ne se reproduirait pas encore une fois dans sa vie.
Autant le dire tout de suite : je ne suis absolument pas adepte des romans des grands espaces, le nature writing. De fait, je ne suis pas du tout adepte non plus d'y être, dans les grands espaces, ça m'angoisse. Un de mes pires souvenirs de lecture, c'est L'Appel de la forêt et Crin-blanc de London (lus pour l'école, vous pensez bien que sinon vous pensez bien que je me serais abstenue) qui ont failli me faire périr d'ennui. Autant dire donc que normalement, ce roman n'aurait jamais dû arriver entre mes mains désireuses d'en tourner les pages. Et pourtant c'est bien ce qui s'est passé finalement, car nonobstant le cadre, l'histoire en elle-même me paraissait intéressante...
Qui n'a jamais eu envie de tout planter là et de recommencer à zéro, pour construire quelque chose de nouveau ? C'est ce que font Gary et Irène, jeunes retraités. C'est surtout Gary, en fait, qui en ressent le besoin, Irène ne faisant que subir les lubies de son mari, espérant en le suivant sauver ce qui reste de leur couple. C'est ainsi qu'ils se retrouvent, à la fin de l'été, sur Caribou Island, au beau milieu d'un lac d'Alaska, à construire une cabane en rondins, le rêve de Gary. Mais les éléments leur mènent la vie dure, autant que les inexplicables migraines d'Irène. Autour d'eux, d'autres personnages semblent plus ou moins être également en perdition : Rhoda et Jim, Mark, Nicole, Carl, Monique...
Bon, moi qui déteste tout ce qui est froid, neige, glace, pluie, vent, lieux isolés, on peut dire que j'ai été servie, et j'étais frigorifiée rien qu'à lire certains passage (vous imaginez bien que jamais je ne poserai les pieds en Alaska, même pour goûter leur saumon fumé). Mais bon, bouillotte, couette, thé brûlant m'ont permis de pallier cette difficulté. Et je dois dire que les problématiques soulevées par ce roman m'ont réellement intéressée et notamment celle du regret de la vie qu'on a pas eue, de l'insatisfaction perpétuelle, à travers le personnage de Gary. Drôle de specimen celui-là, qui se cherche et ne se trouve pas, n'aspire qu'à une vie rude et simple au sein d'une nature sauvage, celle des mythes, aspiration qui n'est finalement que désir d'anéantissement. Quant à Irène, elle m'a émue à cause de sa peur de l'abandon, mais au bout d'un moment je ne l'ai plus comprise : car à la question de savoir jusqu'où on peut aller pour ne pas perdre l'autre, elle donne une réponse extrême. Evidemment, cela ne peut que mal finir, et la fin est terrifiante (mais prévisible) : ce roman, c'est la chronique d'un échec annoncé. J'ai donc été séduite dans l'ensemble, même si ce n'est pas un coup de coeur (et, il est vrai, j'ai de toute façon été exaspérée par la présentation fantaisiste des paroles rapportées).
Désolations
David VANN
Gallmeister, 2011