Si Takashi Miike restera pour longtemps dans l’esprit des cinéphiles français le réalisateur de l’éprouvant Audition, il est surtout un des cinéastes les plus prolifiques et foutraques d’Extrême-Orient. En France, la plupart de ses films sortent plus facilement en DVD qu’en salles, et alors que l’on a presque définitivement tiré un trait sur notre espoir de voir sur grand écran 13 assassins, le japonais a surpris son monde en se trouvant propulsé cette année en compétition pour la Palme d’Or au Festival de Cannes, qui plus est avec un film semblant bien calme pour ce survolté de la caméra. Ces jours-ci, Hara-Kiri : mort d’un samourai fait un tour que l’on peut prédire rapide dans les salles françaises, vu le nombre anémique de spectateurs curieux se déplaçant pour l’occasion.
C’est à la dernière séance de sa première semaine d’exploitation que je suis allé voir Hara-Kiri, un mardi soir à 22h15, dans une petite salle peu peuplée des Halles. Les dernières séances en semaine sont un moment à part. L’ambiance qui y règne est confidentielle, les silhouettes sont fatiguées et éparses, la journée s’y meurt doucement avant que devant le film, un dernier sursaut de vie nous propulse hors de la torpeur de fin de soirée. Plus la salle est vide, plus cette étrange atmosphère est fascinante. Ce mardi soir, nous devions être une vingtaine devant Hara Kiri, principalement sans doute des amateurs de cinéma asiatique.
La dernière fois que j’avais vu un film de Takashi Miike sur grand écran remontait à quelques mois, lorsque l’année dernière la rétrospective Takeshi Kitano au Centre Pompidou m’avait amené à découvrir Izo, qui devint immédiatement un des pires films qu’il m’ait été donné de voir dans une salle de cinéma. Il faut croire que je n’étais donc pas rancunier envers Miike en ce mardi soir, même s’il faut bien avouer que le fait que son film ait concouru pour la Palme lui donne un cachet dont Izo manquait pour le moins…
Ce qui saute aux yeux dans l’exploitation en salles (en France) d’Hara-Kiri, c’est l’absence de 3D. Le film avait fait parlé de lui sur la Croisette tout autant en bien qu’en mal du fait qu’il était présenté en 3D. Certains se demandaient clairement ce que la technologie venait faire dans ce film de samouraïs posé qui aurait aisément pu s’en passer, pendant que d’autres louaient la profondeur visuelle et la qualité graphique apportées. Les critiques à tendance fraiches et l’absence du film au palmarès semblent avoir fait dominer l’idée selon laquelle la 3D était dispensable. C’est une des explications avancée par le distributeur Rezo Films ces jours-ci (notamment dans le Cahiers du Cinéma de décembre qui s’interroge sur la question) ajoutant que Takashi Miike lui-même arguerait qu’il ne s’agit pas là d’une démarche artistique mais d’une concession faite à ses producteurs qui lui réclamaient de tâter la 3D.
Du coup, la vingtaine de spectateurs que nous étions en ce mardi soir ne chaussaient pas de lunettes sur le nez pour nous immerger un peu plus dans le récit de ce samouraï se présentant dans la demeure d’un seigneur en faisant la requête de se faire hara-kiri dans cette riche et puissante propriété, et qui se voit raconter par le maître des lieux l’histoire d’un autre samouraï venu quelques semaines plus tôt faire la même requête. N’en déplaise au distributeur ou à Miike, j’aurais tout de même été curieux de découvrir le film en 3D, tant seuls les cinéastes chevronnés et aguerris (Spielberg, Herzog) semblent capables d’apporter une plus value artistique à la technique. Miike pourrait tout à fait entrer dans la catégorie des réalisateurs savant manier la 3D et parfaitement l’intégrer à son film.
Mais les spectateurs français n’ont pas leur mot à dire sur la question, et les films de Miike ne courant pas les rues dans les salles françaises, nul n’oserait véritablement se plaindre, d’autant que l’on se plaint par ailleurs de l’usage un peu intempestif de la 3D de manière générale, moi le premier. Je ne pense pas, en plus, que la 3D m’aurait convaincu que la seconde moitié d’Hara-Kiri fut époustouflante, contrairement à une entame subjuguante tant sur le plan formel dégageant une sérénité admirable, que sur le plan narratif, le film déployant un sens du récit et de la mise en abyme implacables. La seconde partie du film, elle, verse doucement mais sûrement dans un mélo si appuyé qu’il en devient presque agaçant.
Et comme si cet abus de mélodrame n’était pas suffisant à peiner, un spectateur à décidé de secouer la quiétude de notre petite salle en sortant… un paquet de chips. Quelle mouche l’a donc piqué celui-là, situé en plein milieu du premier rang, seul devant, pour se lancer ainsi, pendant le dernier quart d’heure du film, dans une séance de bruitage parfaitement déplacée. La fin du film a beau contenir un grand combat au sabre montant un peu les décibels par rapport au reste du long-métrage, il n’en reste pas moins que dans une petite salle (à peine 100 places) presque vide, un paquet de chips ouvert, fouillé, refouillé, re-refouillé en long en large et en travers, agrémenté de bruits de mâchouillements des dites chips sans franchement prendre la peine de fermer la bouche en même temps, résonne fortement aux oreilles des autres spectateurs. Ceux situés dans son dos, au deuxième rang, ont commencé à râler, à lancer des « chut ! » et des « oh ! », mais l’homme n’y prêtait guère attention.
Mais lorsque le film s’est achevé, le générique ne se déroulait pas depuis cinq secondes que le mangeur de chips avait déjà détalé plus vite que son ombre. Avait-il peur qu’un des 19 autres spectateurs lui tombe dessus et l’engage dans un duel au sabre duquel il risquait de ne pas sortir entier ? Avait-il aperçu la montagne faite homme qui était assis au cinquième rang (non non pas moi, je n’étais pas seul à squatter le cinquième rang…) ? En adepte du générique de fin, je suis sorti en errant durant les dernières minutes d’ouverture du cinéma, cherchant la sortie tout en espérant ne plus jamais tomber sur un mangeur de chips dans une salle de cinéma…