Guy Debord considérait son existence et ses films suffisant à prouver par l'exemple qu'une autre narration, qu'un autre cinéma était possible. Alors s'ils font tous la même chose, cherchez-en la justification... Béla Tarr, lui, faisait tout autre chose. Dire qu'il faut en parler au passé !... au moins en avons-nous été les témoins, les contemporains.
Ce film est annoncé par son image finale, et par cette anecdote historique : Nietzsche rencontre un cocher faisant preuve d'une immense cruauté envers son cheval, il s'écroule de folie. Ce que réussit Béla Tarr, au-delà des aspects cinématographiques, c'est de faire se rencontrer Nietzsche et Nietzsche. Il se trouve en effet que la philosophie et la biographie de Nietzsche m'intéressent. Et le cinéaste nous offre une critique, la première pertinente, de Nietzsche. C'est même une critique nietzschéenne de Nietzsche. La sentence de Zarathoustra sur le Nietzsche succombant. Il suffisait de s'intéresser au cheval, de se mettre à la place du cheval. C'était aussi simple que ça, et pourtant, qui aurait pu y penser, si ce n'est un cinéaste ? si ce n'est ce cinéaste ? si ce n'est Béla Tarr.
Et puis, ce film par la barbe du Prophète ! ce film il montre la fin de l’Éternel Retour. C'est l’Éternel Retour, oui, mais qui s'arrête. Il s'arrête avant la fin, avant le septième jour, on n'y arrive même pas, c'est trop loin : qui diable pourrait-il bien supporter un tel trajet ? Béla Tarr avait emprunté le chemin bernanosien, le chemin boueux vers le cœur vous savez. Il est contraint, nous l'obligeons à interrompre ses pérégrinations. Le cœur, l'âme, le Chemin, le Septième Jour, ce n'est pas pour l'homme moderne. C'est une tragédie.