Déclaration de François Bayrou, candidat à l'élection présidentielle, le 7 décembre à 2011 à Paris (texte intégral)

Publié le 07 décembre 2011 par Sylvainrakotoarison

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Déclaration de François Bayrou, candidat à l'élection présidentielle, le 7 décembre à 2011 à Paris.

Mesdames, Messieurs, chers concitoyens de métropole, d’outre-mer et de l’étranger,
Je me présente devant vous, en homme libre, avec un projet et une volonté pour notre peuple et pour notre pays.
Je dis pays et je dis peuple. Nous Français sommes un peuple qui doit tout à son pays. C’est la France, son unité, son histoire, son État qui a permis au peuple français de se former. « France, mère des arts, des armes et des lois » chantait du Bellay. Notre culture, nos valeurs républicaines, la laïcité qui n’a pas de prix, notre langue, notre école, notre solidarité, autant dire notre idéal universel, nous l’avons reçu de la France. Et c’est cela qui nous a rassemblés et fait vivre ensemble.
C'est pourquoi quand la France va mal, les Français vont plus mal encore.
La France, depuis des années, va mal. Un vrai mal d’un pays tout entier : le regard des parents sur l’avenir de leurs enfants va mal, le regard des citoyens sur leurs élus va mal, le regard des enseignants sur la société, et le regard sur les enseignants, va mal, le regard de la société sur les jeunes va mal.
Cette dégradation est dangereuse. Elle pourrait être sans retour. Nous avons donc, nous Français,  une chose à décider : cela ne peut pas durer, cela ne peut plus durer.
Il faut un choc, un choc salutaire.
Il faut qu’après cette élection, ce ne soit pas comme avant. Il faut que le peuple français sache pour lui-même, et les autres peuples avec lui, qu’il a choisi de tourner une page, de sortir de l’impuissance et du brouillard, et qu’il débute un autre chapitre de son histoire.
Il faut qu’il soit clair que la France prend un chemin nouveau. Ou plutôt qu’elle retrouve un chemin abandonné depuis longtemps. Le chemin qu’elle a pris en 1958, dont les repères, les mêmes qui nous sont nécessaires aujourd'hui sont : lucidité et volonté.
J’ai dit lucidité. Non pas seulement la lucidité des dirigeants ; cela, ce serait simple à juger. Il suffirait de se demander : qui a vu venir la crise, qui en a montré les raisons, qui en a averti les Français ? La réponse serait sans ambigüité.
Mais la vraie question, c’est la lucidité de tout un peuple, la lucidité des citoyens. Parce que sans lucidité, pas de volonté, donc pas d’issue. Pour faire naître la lucidité des citoyens, la vraie arme, c’est l’arme de la vérité. C’est à cette arme de vérité que je me tiendrai tout au long de cette campagne électorale.
Voici la première affirmation de cette campagne de vérité : ce que vit la France, ce n’est pas une crise. Parce qu’une crise, dans l’esprit de tous, c’est un épisode, presque météorologique, auquel on ne peut pas grand-chose, qui vient d’ailleurs, qui vous tombe dessus, et qui est destiné à passer, comme le dit la sagesse populaire « après la pluie, vient le beau temps. »
En ce sens, ce n’est pas une crise. Ce que vit la France c’est un affaiblissement continu, depuis des années et des années, une anémie toujours plus grave. Les dirigeants successifs n’ont pas prévu, n’ont pas vu, n’ont pas osé voir ce qui se préparait pour notre pays. Ils sont responsables. Et donc responsables aussi un peu nous tous, le peuple qui les a élus.
Il s’agit dans cette élection de ne pas recommencer avec le même aveuglement, les mêmes facilités, les mêmes promesses qui ne seront pas respectées. Tous ceux donc qui nous diront à longueur d’émissions et de meetings que les causes de nos difficultés viennent d’ailleurs, que nous les subissons, qu’elles proviennent du monde, de la finance capitaliste, des banques, de l’Europe, de l’euro, de l’immigration, tous ceux-là en réalité nous dévoient et nous désarment parce qu’ils nous empêchent de regarder en face nos insuffisances et nos erreurs.
Or il s’agit de regarder en face la situation, c’est une guerre que nous sommes en train de perdre ! Il s’agit donc de mobilisation de toutes les volontés, de toutes les forces de notre pays, pour arrêter la marche arrière, arrêter de battre en retraite, regagner pied à pied le terrain perdu. Et cela peut se faire en peu d’années : je veux vous rappeler qu'en 1958 la France faisait ses fins de mois au FMI. Trois ans après, elle avait retrouvé ses forces et son rang. En 2004, l’Allemagne était derrière nous. Cinq ans après, elle était la première puissance européenne. Il s’agit [...] de vouloir, et de vouloir ensemble.
L’anémie de la France, comme toutes les anémies, provient d’une hémorragie. Les ressources du pays s’en vont, continuellement, par dizaines et dizaines de milliards chaque année vers les pays qui nous entourent, parce que nous ne produisons plus en France.
Là est la première cause de tous nos maux : les emplois s’en vont, le pouvoir d’achat s’effondre, les déficits et la dette explosent, on ne peut plus soutenir les services publics, les jeunes ne trouvent plus les moyens de s’installer dans la vie. Et la double dégradation quasiment annoncée depuis hier de notre pays menacé de perdre son triple A n’est que la sanction de cet affaiblissement.
Pour en sortir, il faut un pacte national. Un pacte national pour produire en France. Tous les responsables économiques, industriels, agricoles, consommateurs, syndicats de salariés, tous les responsables politiques de l’État, des collectivités locales, les responsables des banques, tous doivent être invités à prendre leur part de responsabilité.
Mais cela ne se fera pas tout seul. Cela ne se fera que si le peuple des citoyens en décide ainsi. Il faut une volonté nouvelle pour changer les habitudes, par exemple le climat social dans l’entreprise. Ou encore la consommation pour qu’elle devienne un acte de soutien actif au « produit en France ».
Et il n’y a que la voix et la conscience de notre pays qui pourra inscrire cette production, vitale, dans la préservation et la restauration de notre patrimoine naturel, air, terre, [...] eau, patrimoine d’espèces vivantes, patrimoine d’intimité entre l’homme et la nature, l’homme et les abeilles, l’homme et la planète, au moment, en ce moment, où se déroule à Durban le sommet sur le climat. En particulier, nous aurons devant les Français, publiquement, avec toutes les associations, le débat sur l’énergie, sur la transition que je crois possible vers des énergies sans nuisances pour l’homme et son environnement.
« Produire » n’existe pas sans « instruire ». Ces deux verbes sont liés comme le sont dans le même arbre la racine et le fruit.
Il n’existe aucun pays dans le monde qui ait relevé le défi du « produire » sans gagner la bataille de « l’instruire ».
Bien sûr, l’éducation et la formation, bien sûr, n’ont pas à servir d’abord l’économie. Elles servent d’abord la liberté de la femme et de l’homme en devenir. Elles servent d’abord leur jugement, d'abord leur libre-arbitre, l’indépendance de leur pensée, le précieux bagage de leur culture.
Mais elles servent aussi l’invention, la création, toutes les créations, celle de l’entrepreneur, celle du chercheur, du scientifique, de l’ingénieur, de l’agriculteur, et celle du médecin, celle de l’artisan, de l’artiste, du plasticien, de l’architecte, du designer, du logicien et tout autant la capacité de création de l’employé et de l’ouvrier.
La clé du monde à venir, du monde qui est déjà là, c’est la rencontre entre l’esprit de formation, l’esprit de recherche et l’esprit de production.
Il est une immense attente de sursaut parmi tous ceux qui aiment l’éducation et les éducateurs, de la maternelle au Collège de France. Un immense besoin de reconnaissance, de compréhension, de soutien matériel et moral. Un immense et exigeant besoin de retrouver le véritable rang de l’éducation nationale de la France qui était et doit redevenir le premier.
Et bien sûr, il est une étape indispensable, nous le savons tous : la remise sur pied, la remise en équilibre des finances publiques de notre pays.
Il y a beaucoup d’idées qu’on évoque en ce moment sur l’obligation de traités nouveaux pour obliger la France à retrouver l’équilibre des finances. J’ai été le premier et longtemps le seul à défendre le principe d’une « règle d’or » dans la constitution par laquelle le peuple français interdirait à ses dirigeants la facilité, c'est à dire la lâcheté du déficit, sauf en période de récession. À l’époque, tout le monde était contre !
Mais je veux que ceci soit clair : je refuse qu’on nous raconte que nous devrons faire cet effort pour satisfaire à un traité ou à des menaces de sanction. Ce n’est pas pour l’euro que nous devons supprimer nos déficits et alléger notre dette, ce n’est pas pour l’Allemagne, ou pour l’Europe, ou pour -que sais-je- le Fonds monétaire international : c’est pour nous-mêmes et c’est pour nos enfants.
Cet effort à conduire ensemble, à peut près 5 % de baisse des dépenses publiques et à peu près 5 % d’augmentation des contributions, et 5 % entre nous ce n’est pas hors de portée d'une famille ou d'une entreprise, cet effort-là, c’est pour nous, pas pour les autres, pour l’équilibre de la France, et son indépendance.
Et vous voyez bien qu’il y a là pour moi une conviction de fond : pour se rétablir, un peuple ne peut compter que sur ses seules forces. Quand les problèmes dépassent l’échelon national, il est naturel de s’allier avec d’autres pour les résoudre. Mais quand il s’agit de sa survie, de son organisation intérieure, de son destin, de son équilibre intérieur, il ne peut pas s’en remettre à d’autres. C’est notre affaire, c’est notre avenir. Et c'est pourquoi notre destin est entre nos mains !
J’en appelle à l’effort national en même temps que je suis un militant de l’idée européenne. C’est un idéal que j’aime, autant si je puis dire, que Victor Hugo l’aima, que Robert Schuman et Jean Monnet l’aimèrent, que Pierre Pflimlin l’aima, ou que Valéry Giscard d’Estaing, ou Romano Prodi, ou Jacques Delors, ou Jean-Claude Juncker, ou Wolfgang Schaüble, l’aiment.
Parce que j’aime l’Europe, je refuse qu’on en fasse le Père Fouettard de Bruxelles, au nom imposerait-on à des peuples une discipline venue de l'extérieur ? L’Europe n’est pas faite pour excuser nos lâchetés. Je ne veux pas voir un jour des révoltes contre l’Europe au sein des peuples.
L’intimité entre la France et l’Allemagne est le cœur de la construction européenne. Elle doit le rester. Mais je ne crois pas durable ni bonne dans son principe l’idée que l’Europe se dirige exclusivement à deux, en une espèce de directoire qui se met tous les jours en scène.
On nous dit que désormais l’Europe ne sera plus qu’intergouvernementale, Ce sont là des termes qui paraissent bien savants et pourtant c'est une rupture avec le principe premier de l’Europe, le principe communautaire. C’est l’ensemble au service de chacun, et tous les partenaires à égalité de dignité. Il est un intérêt général européen qui doit être entendu au même titre, et même un peu plus, que les intérêts défendus dans le désordre par chacun des gouvernements. Il faut réaffirmer le rôle d’une commission de plein exercice et respectée. Et les peuples aussi ont leur mot à dire. Ils ont le droit de savoir ce qu’on prépare et décide pour eux. Le Parlement européen et les parlements nationaux sont là pour faire entendre leur voix.
Il faut que l’Europe décide sur l’essentiel, par exemple sur les conditions d’une gouvernance effective de la zone euro, et moins sur l’accessoire.
Et il faudra un jour, je le crois, pour que l’Europe ait un visage et une voix, il faudra un président et un seul pour l’Europe, élu par les citoyens. Car il n’existe pas de démocratie si les dirigeants sont anonymes et sans expression.
Sur tout cela, sur la France et l’Europe, et sur le monde si je le peux, je dirai la vérité aux Français.
Je ne ferai pas de promesses, agréables avant les élections, désastreuses après parce qu’on ne les tient jamais, et quelques fois quand on les tient c'est encore pire. Je ne raconterai pas d’histoires.
Je donnerai à chacun une ligne claire, et la même pour tous.
Je ne parlerai pas à la France en la divisant en catégories séparées, d’âge, de condition sociale, ou d’origine, à qui on donne à chacun le discours censé lui faire plaisir, comme on dit dans les Pyrénées « à chaque âne son picotin ». Je ne parlerai pas aux vieux comme à des vieux : je leur parlerai en citoyens, en citoyens d’expérience. Je ne parlerai pas aux jeunes comme à une catégorie particulière, mais comme à des citoyens de plein exercice qui auront demain à assumer pleinement notre nation.
Je n’opposerai pas les Français les uns aux autres. Un pays n’avance solidement que s’il avance solidairement. Je ne diviserai pas, je rassemblerai.
Quand on doit demander des efforts, la justice est une obligation morale, elle est même la condition de l’adhésion. Le principe de justice, que je suivrai, s’énonce simplement : demander plus à celui qui peut le plus et moins à celui qui peut le moins.
Je serai le porte-parole non d’un parti, mais de l’intérêt général et je restaurerai sans faiblesse l’impartialité de l’État.
Je serai celui qui fera l’égalité réelle entre les hommes et les femmes.
Je défendrai la démocratie et le pluralisme. J’obligerai à la séparation des pouvoirs, qui fera une justice de pleine indépendance et une presse de pleine liberté. J’obligerai à une représentation équitable au Parlement de tous les courants d’opinion, même de ceux contre qui je me suis toujours battu.
Je ne céderai rien à l’extrémisme, qui est un danger mortel pour un peuple. Si nous avions la faiblesse de l’écouter, nous pleurerions un jour des larmes de sang.
Je ne concéderai rien aux candidats qui se croient favoris. Je leur dirai en face que la France a besoin de tourner la page sur leur double et successive hégémonie, et sur les erreurs dont ils ont été tour à tour responsables.
Je donnerai une garantie aux Français et à ceux qui, dans le monde, regardent la France. Je promets aux Français la fin des affaires qui salissent notre pays. Je sais bien que dans les temps que nous allons traverser rien ne sera facile. Je n’ai pas de baguette magique. Mais je garantis au peuple français que, dans l’ère nouvelle qui va s’ouvrir, aucun réseau d’influence financier ou partisan, aucun intérêt particulier, aucun mélange des genres n’aura droit de cité au cœur de l’État.
Je promets de voir et d’entendre ceux que personne ne voit ni n’entend. Ils sont des millions qui ont décroché ou n’ont jamais encore accroché. Ils viennent d’ici ou d’ailleurs. Ils étaient ou sont paysans, c'est-à-dire frères des miens, frères et sœurs de mes parents. Ils étaient ou sont ouvriers, d’ici ou d’ailleurs. Leurs enfants, comme on dit dans les cités « tiennent les murs ». Leurs quartiers ont été souvent oubliés. Ils n’ont pas ou plus d’emplois, ou plus de ressources, plus d’espoir en tout cas. Ils sont souvent seuls et ce sont souvent les plus vulnérables. Personne ne leur parle vraiment. J'essaierai de leur parler, en tant que citoyens, pas en tant qu’assistés ou « catégories sociales », j'essaierai de leur parler pour leur rendre leur place.
Pour gouverner la France en ces temps de tempête, il faut une majorité plus large que les majorités classiques d’un bord contre l’autre. À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. J’ai évoqué la nécessité d’un « esprit d’union nationale ». Il est impératif, et à mes yeux d’ailleurs inéluctable, que pour redresser la France se forme, ouverte à tous les réformistes, d’où qu’ils viennent, une majorité du courage.
Seul un président de la République nouveau, soutenu par le peuple français, libre de ses décisions et de toute dépendance, peut garantir aux Français que les choses vont vraiment changer.
Et nos institutions le permettent, c'est même leur génie, puisqu’elles mettent entre les mains des électeurs un robuste fusil à deux coups : d’abord l’élection présidentielle, ensuite les élections législatives qui éliront les députés décidés à soutenir cette nouvelle majorité, et sanctionneront durement ceux qui s’y refuseront.
Enfin, je veux vous dire que nous n’avons pas seulement la charge du présent ou de l’avenir immédiat.
Nous avons charge d’horizons plus lointains. Nous avons charge du siècle pour la France et pour l'Europe. Je veux vous dire ma certitude que la France doit formuler, pour elle, pour l’Europe et pour le monde, et je crois qu’elle est la seule parmi les nations à pouvoir le faire, elle doit formuler un projet pour développer l’être humain, femme, homme, enfant, dans toutes ses dimensions : santé, équilibre, épanouissement intellectuel, créativité, culture, et même épanouissement philosophique ou spirituel.
Car nous ne sommes pas des organismes à produire et à consommer. Nous sommes destinés à nous élever au-dessus de nous-mêmes, pour comprendre le monde et pour le changer, dans le but d’humaniser l’homme et d’humaniser le monde.
Le monde ne se satisfait plus de l’injustice qui fait que les uns sont gavés, d’euros, de dollars ou de luxe stérile, et les autres n’ont pas même pas d’eau. Le monde ne se satisfait plus du matérialisme. Il exige qu’on prenne en charge la nécessité de tous. Et il espère qu’on lui montrera d’autres horizons pour l’être humain, pour sa liberté et pour sa conscience.
Je viens à cette élection avec ce que la vie m’a donné et m’a appris. Elle m’a donné des racines, dans mon pays des Pyrénées bleues, auprès de mes parents qui n’avaient d’autre horizon que le travail, et aussi les livres, des racines dans la famille nombreuse et rigolote que nous avons voulue, des racines dans notre langue que j’aime et dont je crois qu’elle porte un trésor à nul autre pareil. Elle m’a donné le don de l’amour et de l’amitié. Elle m’a donné l’endurance pour traverser les difficultés. Elle m’a donné de ne jamais accepter que les obstacles soient invincibles. Elle m’a donné la confiance émouvante de femmes et d’hommes engagés, qui ont l’expérience et le niveau de prendre en mains la destinée du pays, et aussi la confiance de femmes et d’hommes, plus nombreux encore, dont la vie n’est pas la plus facile. C’est avec tout cela, ce bagage de vie, ce bagage de gratitude, que je veux servir notre pays au moment le plus impressionnant de notre histoire récente.
L’histoire commence. Nous sommes, vous et moi, au seul rendez-vous qui vaille, celui de la lucidité, celui du courage, celui de la volonté optimiste d’un peuple qui va décider de se relever.

François Bayrou, 7 décembre 2011, Maison de la Chimie, Paris.