Référence mondiale absolue en matière de compagnies low cost, Southwest Airlines jette soudainement le trouble : en marge du dépôt de bilan d’American Airlines, elle craint ouvertement pour son avenir ou, tout au moins, celui de son modèle économique. Ses résultats financiers sont médiocres, la compagnie texane a perdu 140 millions de dollars au cours du troisième trimestre et son trafic ne progresse que très modestement au rythme de 2,5% par an. Mais l’essentiel est ailleurs : Gary Kelly, patron respecté, révèle que les grilles salariales de la compagnie sont plus élevées que celles de tous ses concurrents. Aussi avoue-t-il de sérieuses inquiétudes pour l’avenir.
Laura Wright, directrice financière, confirme cette analyse. Il est indispensable, dit-elle, de donner un sérieux coup de pouce à la productivité de l’entreprise. Ce qui s’annonce d’autant plus difficile que Southwest ne s’est jamais éloignée de ses «fondamentaux», au point de servir de référence à tous les transporteurs qui se sont risqués sur le marché des bas tarifs.
Pourquoi ce coup de semonce ? Et pourquoi maintenant ? Gary Kelly et Laura Wright n’en disent pas assez, peut-être pour se donner le temps de préparer tranquillement un plan de relance. Mais l’un et l’autre constatent que toutes les grandes compagnies américaines, les «majors», sont passées par le célèbre chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites. Ce qui leur a permis, ainsi protégées, de procéder à des coupes claires dans leurs dépenses sans devoir passer par des négociations compliquées aux résultats incertains. En d’autres termes, les ténors, «legacy carriers», aussi appelés «network carriers» ou encore «full-services airlines» ont l’un après l’autre profondément simplifié leurs rouages, gagné en efficacité et diminué leurs coûts. Plus de 30 ans après la déréglementation (l’Airline Deregulation Act date de 1978) et d’importants regroupements, les principaux intervenants apparaissent plus «modernes», mieux dans leur temps. Southwest, elle, n’a pas modifié sa ligne de conduite d’un iota depuis ses origines, il y a une quarantaine d’années.
Les conséquences de cette évolution seraient relativement minimes dans l’hypothèse d’un environnement économique stable. Mais tel n’est pas le cas : le carburant intervient dorénavant pour plus de 30% des coûts directs d’exploitation et toutes les autres dépenses sont inévitablement identiques pour toutes les compagnies, conventionnelles ou pas. Le prix des avions est le même pour tout le monde, les frais d’escale, etc., sont similaires ou identiques. Ce qui revient à dire que la marge de manœuvre est réduite et permet de plus en plus difficilement de maintenir un écart important et un modèle économique distinct.
C’est un thème de réflexion qui permet des échanges de vues animés : va-t-on assister à l’apparition d’un modèle hybride que l’on croit déjà déceler, par exemple, chez JetBlue, Air Berlin et EasyJet ? La conception pure et dure du low cost, inventée par Southwest Airlines, transposée en Europe par Ryanair, a-t-elle encore un avenir ? Gary Kelly n’en demandait pas temps et c’est involontairement qu’il vient de relancer le débat.
Il introduit une expression nouvelle dans le jargon professionnel, «New Airline», appellation qu’il attribue aux ténors qui, au sortir du chapitre 11, apparaissent rajeunis, amaigris, performants. Des compagnies «nouvelles», dit-il, bien qu’elles soient issues du canal historique du transport aérien américain. Un tournant, une douche froide, qui incite à la réflexion en même temps qu’il annonce sans doute des révisions déchirantes.
Pierre Sparaco - AeroMorning