Mi-figue mi-raisin (de la colère)

Par Borokoff

A propos de Carnage de Roman Polanski 2.5 out of 5 stars

A New-York, dans un parc, deux enfants de 11 ans se battent. L’un d’eux reçoit un coup de bâton dans les dents. Les parents de la victime invitent chez eux ceux du bourreau pour un conciliabule au départ très diplomatique mais qui dégénère peu à peu…

Inspiré de la pièce de théâtre Le dieu du carnage (2006) écrite par Yasmina Reza, Carnage décrit la querelle grandissante entre deux couples bourgeois à l’existence en apparence rangée et harmonieuse. Le combat entre leurs deux enfants est le prétexte à une réunion de familles au départ très conviviale et chaleureuse mais qui va donner lieu à une joute verbale de plus en plus violente et animée, dévoilant les frustrations, les regrets et le ressentiment insoupçonnés de ces deux femmes à l’égard de leur mari.

Carnage, comme la pièce de théâtre, se déroule en temps réel et respecte l’unité de lieu de la pièce : soit un huis-clos dans la demeure bourgeoise de Penelope Longstreet (Jodie Foster), vendeuse dans une librairie d’art et co-auteur d’un livre sur l’art africain, et de son mari (John C. Reilly), qui tient un magasin de pièces de plomberie.

En face, il y a un exploitant de produits pharmaceutiques (Christoph Waltz) qui passe son temps au téléphone et sa femme qu’il agace de plus (Kate Winslet, de plus en plus masculine). Polanski s’est toujours senti à l’aise dans ces ambiances de  huis-clos, de Le couteau dans l’eau (1962) à Répulsion (1965) en passant par Rosemary’s baby (1968) et Le locataire (1976), qui se situent tous deux dans des appartements.

Pour Carnage, le réalisateur d’origine polonaise ne déroge pas à la règle et livre une fable aussi grinçante qu’agréable à suivre sur la bourgeoisie new-yorkaise. Le quatuor d’acteurs est irréprochable. Ce double portrait de familles épouse la forme d’un conte cruel où s’expriment toute la rancœur et le désenchantement de deux femmes déçues par leur mari et prêtes à en venir aux mains pour les secouer voire les étrangler.

Grâce à une adaptation des dialogues en anglais assez réussie, à la mise en scène assez brillante (c’est un pléonasme) et enlevée de Polanski, on ne boude pas son plaisir à suivre pendant une heure trente ce ballet de violence conjugale où les hommes en prennent sérieusement pour leur grade, à la limite d’être battus publiquement.

Mais Carnage, au-delà de sa bonne impression générale, laisse un sentiment de déception, comme si l’on perdait quelque chose par rapport à la pièce. Carnage n’a pas pu se départir des codes qui restent propres au théâtre et à la pièce de Yasmina Reza : scènes d’aparté, moments de solitude voire d’isolement des personnages ressortent moins bien au cinéma par exemple… Le sentiment de rage qui monte en chacun des personnages (alors qu’ils sont très calmes et courtois au début) jusqu’à l’explosion transparait mal au cinéma. Cette rage, dans son côté extrêmement physique, dans son irruption brutale et incontrôlée (fameux « coup de théâtre »), ne trouve pas la même force ni le même éclat au cinéma qu’au théâtre.

Carnage vaut bien mieux que du théâtre filmé bien sûr, mais il confirme la difficulté d’adapter une pièce de théâtre au cinéma. Même pour un réalisateur de la trempe de Polanski…



www.youtube.com/watch?v=ZvuV3dpF_gk

Film français de Roman Polanski avec Jodie Foster, John C. Reilly, Christoph Waltz, Kate Winslet (01 h 20).

Scénario : 2 out of 5 stars

Mise en scène : 4 out of 5 stars

Acteurs : 4 out of 5 stars