14. ABUS DE CONFIANCE
(7 décembre 2011)
Caroline Eliacheff, les Matins de France-Culture
Imaginez, cher Marc, que vous soyez un ou une pédopsychiatre psychanalyste ayant une renommée nationale voire internationale dans le domaine de l'autisme auquel vous consacrez tout ou partie de votre vie professionnelle. Une personne se présentant comme journaliste, Sophie Robert vous contacte se recommandant de collègues prestigieux. Son projet : réaliser pour la chaîne Arte une émission sur les grands concepts de la psychanalyse et sur la place actuelle de cette discipline dans la prise en charge des autistes. La référence à Arte vous met en confiance. Après tout, il n'est plus si fréquent d'avoir l'occasion de parler sérieusement de la psychanalyse à la télévision et la prise en charge des autistes est le champ de controverses qu'il serait grand temps de clarifier. Vous recevez donc Sophie Robert qui vous assure que chacun aura le temps d'exposer son point de vue et qu'elle vous soumettra le montage final. Bref, toutes les conditions sont réunies pour que vous y alliez !
Les personnes sollicitées, une trentaine, ont toutes eu droit à un long entretien, alternant questions précises et discussion libre autour par exemple de la biologie de la grossesse, de la place historique de Bettelheim ou encore du concept peu connu de censure de l'amante.
Au final, elles se sont faites rouler dans la farine : la journaliste n'en est pas une, elle n'a jamais eu d'accord formel de la chaîne Arte qui a refusé le documentaire, ce dont elle s'est bien gardée d'avertir les protagonistes. Qu'a-t-elle fait de ces archives ? Eh bien elle n'a pas retenu la leçon de Godard qui disait que le montage est l'art de rendre l'image dialectique. Tout effet de montage étant producteur de sens, Sophie Robert a donné à son documentaire Le MUR un sens unique, celui qui conforte ceux qui veulent éradiquer la psychanalyse de la prise en charge des autistes. L'une de ses techniques a consisté à refaire hors champ une question concernant l'autisme en donnant comme réponse des phrases tronquées extraites d'un autre contexte. L'effet de ridicule est assuré mais plus grave, le message est inversé. En manipulant leurs propos, est accréditée l'idée que les psychanalystes ne font que culpabiliser les parents ; mieux encore : accrochés à des certitudes passéistes, ils sont les uniques responsables du retard pris par la France dans la mise en place de méthodes éducatives qui, elles seules, je dis bien seules, seraient efficaces. En réalité, ces spécialistes de l'autisme non seulement défendent mais mettent en pratique un trépied comportant, comme l'un d'eux le résume " une approche éducative toujours, une approche pédagogique si possible et une approche thérapeutique si nécessaire". Mais pour qui roule Sophie Robert ? Pour une association de parents d'enfants autistes, Vaincre l'autisme qui mène depuis des années une véritable croisade d'intoxication contre les psychanalystes. La projection en salle du MUR a été placée sous son égide avant d'être complaisamment accueilli sur internet.
Trois des interviewés ont demandé à la justice qui se prononcera demain d'interdire ce film. La très sérieuse association CIPPA (Coordination Internationale entre Psychothérapeutes Psychanalystes s'occupant de personnes avec Autisme), dont plusieurs adhérents ont été floués a mis en ligne un dossier rétablissant la vérité autour de leurs pratiques conçues en constante articulation avec les autres approches qui loin de se contredire s'enrichissent les unes les autres. Le Mur est une pure escroquerie qui serait risible si le sujet n'était aussi grave.