La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a constaté mardi que la Belgique avait violé plusieurs articles de la Convention européenne des droits de l’homme, suite au suicide d’un jeune toxicomane souffrant de déséquilibre mental, placé dans le quartier “ordinaire” d’une prison.
Le suicide de Tom De Clippel, 28 ans, remontait au 6 août 2001. Ce sont ses parents qui, le 10 février 2006, ont introduit une requête devant la CEDH.
Tom De Clippel avait commencé à consommer des drogues douces à l’adolescence et avait ensuite montré des problèmes de personnalité. Dès ses 20 ans, il avait été plusieurs fois interné en établissement psychiatrique et suivait une thérapie. Il se trouvait sous traitement psychotrope. En mars 1999, soupçonné de tentative de vol de voiture, il fut arrêté et présenté à un psychiatre qui releva des “pensées paranoïdes”.
En mai 1999, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Gand constata que Tom De Clippel avait bien commis les faits dont il était inculpé. Elle ordonna son internement, en application de l’article 7 de la loi de défense sociale. Le tribunal précisa qu’il serait provisoirement détenu dans l’annexe psychiatrique de l’établissement pénitentiaire de Gand, en attendant que la commission de défense sociale désigne un établissement psychiatrique.
Un établissement spécialisé dans le traitement des toxicodépendances fut choisi. Le 9 avril 2001, la commission de défense sociale estima que Tom De Clippel pouvait continuer à suivre son traitement à l’extérieur de l’établissement les fins de semaine. Mais trois mois plus tard, le travailleur social chargé de son suivi indiqua qu’il ne respectait pas les conditions de sa resocialisation, puisqu’il avait adopté une attitude verbale “particulièrement menaçante” à l’égard du personnel et l’équipe soignante jugeait impossible de continuer à travailler avec lui. Le 27 juillet, le substitut du procureur ordonna qu”il soit placé dans l’annexe psychiatrique de la prison de Gand.
Le 30 juillet, il réintégra cet établissement pénitentiaire. Mais suite à un manque de places, il fut détenu non pas dans l’annexe psychiatrique mais dans le secteur des détenus ordinaires. Sa cellule était occupée par trois autre personnes. Dès le lendemain, à la suite d’une altercation violente avec l’un des codétenus, il fut isolé en cellule de punition. Le 2 août, un médecin psychiatre modifia son traitement médicamenteux, puis le jeune homme fut placé en cellule individuelle.
Le 6 août 2001, Tom De Clippel se suicida par pendaison dans sa geôle, à l’aide d’une ceinture élastique.
Ses parents ont déposé une plainte contre X
Le 10 août 2001, les parents de la victime déposèrent une plainte contre X avec constitution de partie civile entre les mains du juge d’instruction de Gand. Ils dénonçaient notamment le fait qu’une personne “dont l’état de santé mentale défaillant était connu et appelait avant tout un soutien psychologique avait été mise en prison”.
Le 19 juin 2002, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Gand prononça un non-lieu. Elle estimait que le dossier médical de Tom De Clippel ne contenait pas d’élément indiquant une tendance suicidaire. Les requérants interjetèrent appel de cette décision devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Gand. Selon eux, la tendance suicidaire de Tom De Clippel ressortait de son dossier médical qui, schizophrène, était prédisposé au suicide. Mais par un arrêt du 29 mars 2005, la chambre des mises en accusation rejeta l’appel. La Cour de cassation rejeta également leur pourvoi le 18 octobre 2005.
C’est ainsi qu’ils formèrent une requête devant la juridiction strasbourgeoise.
Ils invoquaient l’article 2 de la Convention sur le droit à la vie et soutenaient également le fait que l’incarcération de leur fils à la prison de Gand et son placement à l’isolement, étaient incompatibles avec les garanties de l’article 5 de la Convention, sur le droit à la liberté et à la sûreté.
Tom De Clippel n’aurait pas dû être placé dans les quartiers ordinaires d’une prison
La Cour a considéré(1) qu’il y avait un risque réel que le détenu attente à ses jours. Elle a en effet relevé que le jeune homme était doublement vulnérable. D’une part du fait que le taux de suicide est plus élevé au sein de la population carcérale et d’autre part du fait qu’il était atteint de schizophrénie paranoïde, pathologie mentale où le risque de suicide est particulièrement élevé.
Elle remarque que l’affection mentale dont il souffrait était en plus connue des autorités au moment où la décision de son incarcération à la prison de Gand a été prise. “Le fait qu’il ait agressé un co-détenu aurait dû être interprété comme une expression de son mal-être et même s’il n’a pas donné de signes alarmants, les autorités auraient dû savoir qu’il existait un risque réel que, dans l’environnement carcéral ordinaire de la prison de Gand, le jeune homme qui souffrait de troubles mentaux, attentât à sa vie”.
La Cour indique que la privation de liberté trouvait sa base légale dans la loi de défense sociale, autorisant les juridictions à ordonner l’internement d’une personne lorsqu’il existe des raisons de croire qu’elle est en état de démence ou de déséquilibre mental grave la rendant incapable du contrôle de ses actions. Mais d’après cette loi, “cet internement ne doit pas avoir lieu en milieu carcéral ordinaire mais dans un établissement spécialisé ou bien par exception dans l’annexe psychiatrique d’un établissement pénitentiaire”.
Or la décision du substitut du procureur du 27 juillet ordonnait que Tom De Clippel soit placé dans l’annexe psychiatrique de la prison de Gand.
Les juges strasbourgeois en ont déduit que sa détention en milieu carcéral ordinaire était “contraire au droit interne”, rappelant que “la détention d’une personne comme malade mental n’est en principe régulière […] que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié. De sorte qu’il y a également eu violation de l’article 5″.
La Belgique devra verser 25 000 euros à chacun des deux parents, estimant que “Tom De Clippel n’aurait jamais dû se trouver dans les quartiers ordinaires d’un établissement pénitentiaire”.
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(1) CEDH, 6 déc. 2011, n° 8595/06, De Donder et De Clippel c/ Belgique.
http://www.lextimes.fr/4.aspx?sr=9056
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