Magazine Société

"L'euro: comment s'en débarasser" de Jean-Jacques Rosa

Publié le 07 décembre 2011 par Francisrichard @francisrichard

Les dirigeants européens vont se rencontrer une enième fois pour, disent-ils, sauver l'euro.

En réalité, il ne s'agit pas pour eux, à travers les fonds de sauvetage accordés - sous des conditions sévères -, à la Grèce, au Portugal et à l'Espagne, de sauver les économies de ces pays, mais "d'éviter la faillite des grandes banques, principalement allemandes et françaises, qui se sont gorgées des dettes douteuses de ces Etats, dettes exprimées en euros en principe garantis contre l'érosion monétaire, et rendues particulièrement rentables par le refinancement à faible coût consenti par la BCE".  

C'est ainsi que s'exprime le professeur Jean-Jacques Rosa ici qui a publié à la fin de ce printemps chez Grasset ici un opuscule intitulé L'euro: comment s'en débarasser. L'économiste est depuis longtemps opposé à la monnaie unique européenne. Dans ce livre il rappelle pourquoi les faits lui ont donné raison.

A quoi sert la politique monétaire selon l'auteur ? Elle est, via taux d'intérêt et taux de change, "un instrument indispensable pour amortir les effets des inévitables chocs et aléas de la conjoncture économique". Elle permet de maintenir la croissance en amortissant les récessions.

Une monnaie unique ne peut convenir à des pays dont les structures et les conjonctures - "tant pour l'activité réelle que pour l'inflation" - sont différentes sans qu'il n'y est unification politique et budgétaire. Or celle-ci est devenue impossible du fait que les grandes structures hiérarchiques se désintègrent en "période de révolution et d'abondance de l'information".

Une monnaie unique n'est acceptable, selon l'auteur, que "lorsque les conjonctures sont en phase et que le travail se déplace facilement". A ce moment-là il est possible de profiter de la baisse des coûts de transaction dans les échanges internationaux. Ce n'est justement pas le cas aujourd'hui des pays européens qui ont adhéré à l'euro.

Grâce à une monnaie unique et au développement des échanges les économies nationales peuvent-elles converger ? Cela conduit plutôt à une spécialisation des activités, comme le montre l'exemple américain. Après dix ans d'unification monétaire les économies des pays européens sont bien loin d'être en phase et "les divergences d'inflation s'accentuent au fil du temps"...

Si les Etats-Unis ne sont pas une zone monétaire optimale, les inconvénients de la monnaie unique qu'est le dollar y sont compensés "par l'existence d'une politique budgétaire fédérale". L'Etat fédéral "effectue spontanément des redistributions compensatrices entre les Etats membres lorsque des disparités de conjonctures se font sentir". Une question donc se pose :

"Un Etat central est-il plus avantageux pour les populations que plusieurs Etats existants ?"

Pour Jean-Jacques Rosa cela suppose que les populations concernées soient homogènes. Ce qui n'est manifestement pas le cas des pays européens. Constituer un Etat fédéral permettrait, selon ses partisans d'atteindre, "la puissance indispensable dans un monde incertain" et de forcer "à une convergence des préférences des citoyens européens". Seulement la révolution de l'information favorise au contraire la décentralisation.

La globalisation "supprime la nécessité de vastes marchés intérieurs". En l'absence de protectionnisme les grands pays n'ont plus d'avantages économiques sur les petits. Les grands Etats se désintègrent. Il ne faut donc pas compter sur un amortisseur budgétaire européen pour relayer "les amortisseurs nationaux que constituaient les monnaies indépendantes".

Une politique monétaire unique - un taux unique dans toute la zone euro - a des effets pervers en présence d'inflations différentes dans les économies : 

"[Elle] freine [...] les économies en récession et stimule les économies en surchauffe."

Puisque l'euro, qui a été conçu pour être une monnaie forte et unique, a de tels désavantages économiques, à qui profite-t-il donc ? Aux politiques et aux fonctionnaires, qui forment l'appareil d'Etat, et aux grandes entreprises, qui ont des intérêts particuliers communs, ceux de débiteurs structurels :

"Ce sont les grands emprunteurs qui bénéficient d'une monnaie unique et forte car les dettes exprimées en une telle monnaie sont très demandées par les investisseurs parce que leur valeur de remboursement est sûre, et que leur vaste marché leur assure une grande liquidité."

Grâce à l'euro fort les grandes entreprises, notamment allemandes, investissent dans des pays où elles produisent des produits intermédiaires qu'elles intègrent dans la production finale avant de les réexporter vers d'autres pays, bénéficiant au passage de différences de taux de change sans primes de risque. Les prix de cartels, qui se forment plus facilement, sont en outre surveillés également plus facilement par leurs membres pour éviter les tricheries.

Les Etats européens se sont organisés en cartel d'emprunteurs, dénonçant la concurrence fiscale qui les oppose les uns aux autres, se mettant d'accord sur des quotas d'émission d'obligations souveraines - ratio fixe des déficits budgétaires par rapport au produit national - , se fixant pour règle : "pas d'inflation et pas trop d'émissions d'obligations" et interdisant à la BCE de refinancer les gouvernements.

Parce que les grandes entreprises se sont mises à emprunter directement sur les marchés financiers, les grandes banques ont dû réinventer leur métier et se sont mises à leur tour à emprunter "sur les marchés obligataires pour investir, pour leur propre compte, en de très nombreux actifs sophistiqués sur des marchés risqués".  

Tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes si cela n'avait pas inévitablement dérapé :

"Puisque le coût des emprunts était sensiblement abaissé, les emprunteurs structurels ont emprunté davantage, et ils l'ont fait massivement."

Les règles convenues par le cartel étatique n'ont plus été observées et de grandes banques ont fini par prendre trop de risques. Faute d'Etat fédéral la BCE a joué le rôle de surveillance en matière de création de monnaie, en s'interdisant "de racheter les titres de dette des Etats membres", mais il n'y a pas eu d'autorité équivalente pour contrôler les émissions d'obligations...

Ce cartel est maintenant au bord de la dissolution. Jean-Jacques Rosa montre ce que représenterait le coût de sortie de l'euro pour la France, après une dévaluation de l'euro, suivi du retour au franc avec ou sans dévaluation. Il faudrait pour que l'économie française ne souffre pas que cette sortie se fasse avant une sortie des pays du sud de l'Europe, car à ce moment-là l'euro se réévaluerait par rapport au dollar et la France devrait fortement dévaluer... Il préconise la parité 1 euro 1 franc...

Les conséquences politiques seraient une popularité retrouvée pour le gouvernement français qui oserait prendre une telle décision, permettant le retour à la croissance, redonnant une importance démocratique à l'électorat national dilué dans l'Europe, où il n'est représenté que par environ 13% des sièges au Parlement européen, et redonnant une importance au pouvoir exécutif, qui ne représente que 4% du Conseil européen, soit un ministre sur 25.

De plus il faut bien se rendre compte que les politiques centralisées ne peuvent que "moins bien refléter les préférences des électeurs dans un ensemble plus vaste, et nécessairement plus hétérogène", avec pour résultat un "renforcement spectaculaire des lobbies et du personnel politique et administratif ".

Aussi Jean-Jacques Rosa conclut-il que :

"En renversant le mouvement, dans le domaine monétaire, par la sécession, on restaure ainsi les conditions d'une discussion ouverte de ces politiques [macroéconomique et financière, tout autant que réglementaire]."

Il est bien conscient que ce revirement politique n'est guère possible avant les élections de 2012 : 

"Car les effets positifs d'une nouvelle politique monétaire demandent habituellement un an ou plus pour se concrétiser."

Il faut aussi que la sécession "recueille un soutien suffisamment large de l'opinion et de l'ensemble des citoyens".

Autant dire que ce n'est pas demain la veille... même si l'auteur écrit à juste titre que :

"L'euro a constitué une parenthèse réactionnaire et antidémocratique très paradoxale dans une ère de décentralisation organisationnelle et de compétition accrue."

La remise en cause du monopole de la monnaie est encore moins pour demain... 

Francis Richard


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Francisrichard 12008 partages Voir son profil
Voir son blog

Dossiers Paperblog

Magazine