Une avant-première de The Descendants, l’un des favoris dans la course aux prochains Oscars, réalisé par Alexander Payne et interprété par George Clooney, un film porté par un buzz remarquable aux États-Unis où il est sorti il y a deux semaines, avait lieu lundi soir à Paris. En fait, deux projections avaient lieu. L’une à l’UGC Ciné Cité Bercy, l’autre au MK2 Bibliothèque, presque deux mois avant la sortie française calée au 25 janvier prochain. Le genre d’avant-première qu’un cinéphile parisien ne voudra manquer pour rien au monde, d’autant plus qu’Alexander Payne était annoncé présent. A l’origine, j’avais réservé ma place pour le voir à Bercy, parce que je préfère le confort de ce cinéma plutôt que celui du voisin de la rive gauche, et surtout parce que, que cela soit sur le site web de MK2 ou dans Pariscope, il n’était pas précisé si le réalisateur serait présent à la projection du MK2.
Peut-être tous les spectateurs potentiels ont-ils douté comme je l’ai fait de la soirée du MK2 Bibliothèque et se sont tous rabattus sur Bercy. Mais mon ami Michael m’a proposé au dernier moment d’aller plutôt à la projection du Mk2, il avait une invitation et m’assurait que Payne serait bien présent. Changement de programme donc, et en route pour l’esplanade venteuse (et ce soir-là, bruineuse) du 13ème arrondissement. Dans le hall du multiplexe, on aurait pu se croire à une séance de début d’après-midi en pleine semaine, et non à 19h30… Des caisses sans clients, des spectateurs attendant ici et là, comme si Charles Bronson et son harmonica allaient soudain descendre de train et dézinguer l’atmosphère.
Si le début de la projection s’est tant fait désiré, ce n’est pas parce qu’Alexander Payne était en retard. D’après le type de la Fox qui s’est adressé à nous, le réalisateur américain était dans les murs du cinéma, flânant dans la boutique de DVD en attendant qu’on l’appelle pour présenter le film. Non, le retard était en fait dû à un problème de… téléchargement. Le film, projeté au format numérique, était arrivé quelques heures plus tôt et était en train d’être téléchargé (« On en est à 95%, c’est bientôt bon !! », ce n’est plus Charles Bronson qu’on attend mais Mark Zuckerberg semble-t-il…). Au bout d’un moment ils se sont judicieusement dit que tant qu’à attendre, autant faire descendre Alexander Payne pour qu’on fasse connaissance ! Si les applaudissements furent nourris à son arrivée, un petit sentiment de honte planait sur la salle, à accueillir le réalisateur de Monsieur Schmidt et Sideways, six ans après son dernier long-métrage et alors qu’il remplit les salles aux États-Unis et s’apprête à récolter les nominations aux Oscars, dans une salle à moitié vide (et si le retard était dû à une tentative désespérée du cinéma d’attirer encore quelques spectateurs de plus pour grossir les rangs décharnés de la salle 12 ?).
Pourtant ne prenez pas The Descendants pour un film traditionnaliste vantant les jours heureux du passé. George Clooney y incarne un avocat à Hawaï, issu d’une longue lignée d’hawaïen avec des cousins vivant aux quatre coins de l’archipel du Pacifique. Marié, sa femme vient de subir un grave accident et est dans le coma. Le voilà donc promu parent en chef de ses deux filles, avec lesquelles il n’a pas l’habitude de jouer au père mais va pourtant partir sur les routes de Hawaï, prévenir la famille et les amis de la situation… et retrouver l’amant de sa femme. Combien de fois le film pourrait verser dans le plus facile des mélos avec le plus évident pathos… alors qu’il ne cède jamais. Alexander Payne manie la délicatesse et la subtilité tel un maître en la matière.
J’ai peur que tout cela paraisse un peu déprimant non ? Il ne faut pas s’y tromper pourtant, The Descendants est également une comédie, avec des pointes d’humour comme Payne en a le secret (qui a oublié la scène du portefeuille dans Sideways ?), notamment ici grâce à un personnage d’adolescent pas vraiment fute-fute qui traîne avec la fille du héros et squatte la famille pour notre plus grand plaisir. J’ose à peine me relire car je sens que je n’arrive pas le moins du monde à retranscrire par écrit ce que j’ai pu ressentir à la vision du film. Cette tendresse, cet humour, cette émotion, cette amertume. C’est un cinéma à vivre plus qu’à raconter. Nous n’étions qu’une centaine dans la salle à vivre ce moment de privilégiés : découvrir un des grands films de 2012.
Lorsqu’il fut temps de quitter la salle et de regagner le hall, il avait beau ne pas encore être 22h30, les écrans annonçant les salles et les films étaient éteints, le hall désert, pourtant un coup d’œil sur les horaires, et il semblerait que toutes les dernières séances n’étaient pas encore commencé… Il faut croire que l’harmonica a fini par retentir dans le hall du Mk2 Bibliothèque.