A quelques semaines de l'E3 2010, une rumeur enfle sur internet : Michel Ancel, créateur de Rayman et Beyond Good & Evil aurait quitté le studio Ubisoft Montpellier. Véritable coup de tonnerre sur la toile, la rumeur devient moins alarmiste puisque le génial Français, étouffé par une équipe qui ne faisait que grandir, aurait en fait mis de côté Beyond Good & Evil 2 pour prendre en main une petite structure. Leur projet serait un nouveau Rayman, le héros sans bras ni jambes qui a disparu de nos écrans au profit des perfides lapins crétins. L'E3 2010 lâche une véritable bombe, Rayman Origins est un jeu de plateforme en 2D d'une beauté éblouissante,basé sur un tout nouveau moteur maison. Prévu pour une sortie par épisodes sur les plateformes de téléchargement, le jeu va finalement avoir l'honneur d'être pressé avant de s'afficher en magasins. La french touch a-t-elle encore frappé ou aurait-il fallu laisser au titre son statut de « petit » jeu à télécharger ?
Pas de bras, pas de chocolat
En pleine séance intense de sieste, Rayman, son ami Globox, les ptizètres et le Bulleur de rêves dérangent les créatures cauchemardesques enfouies sous la Croisée des Rêves à cause de quelques ronflements. Remontés comme jamais, les habitants des sous-terrains osent interrompre l'activité favorite de notre petit groupe d'amis. Le bulleur de rêves perd alors la tête et donne naissance à des cauchemars ambulants. Dans ces conditions, un petit somme est difficilement appréciable, il est donc temps pour la fine équipe de réparer les dégâts et de reprendre une activité normale, et peu fatigante de préférence. Pour le joueur, c'est le moment de prendre sa manette en main et de partir seul à l'aventure, sauf s'il souhaite inviter jusqu'à trois amis pour faire l'aventure en coopération. Que les solitaires se rassurent, le jeu est parfaitement faisable à 100% sans l'aide de personne.
Outre ses amis, notre cher Rayman peut profiter de l'aide des fées qui lui confèrent des pouvoirs aussi utiles que ces généreuses nymphes sont charmantes. Au menu, on peut citer la possibilité de baffer, changer de taille, courir sur les murs, flotter dans les airs et nager. Les habitués de la série seront en terrain connu, les autres découvriront une palette de coups à connaître sur le bout des doigts pour se sortir des situations les plus désespérées. Les baffes permettent de frapper ennemis comme amis, flotter vous garde en l'air quelques secondes jusqu'à toucher la terre ferme ou faire le grand saut, et quant aux autres leurs noms sont bien assez explicites. Ces capacités vous permettent de faire face à toutes les situations et elles sont aussi nombreuses que bien pensées. Surtout, votre personnage répond au doigt et à l'œil et il sera extrêmement rare que vous pestiez contre les commandes, tout se joue avec un minimum de boutons et aucune action compliquée n'est demandée. Il suffit de quelques secondes pour prendre son personnage bien en main et s'attaquer aux niveaux les plus complexes. On est très loin de l'inertie de Donkey Kong Country ou d'un LittleBigPlanet, les sauts sont faciles à doser et on sent tout le soin apporté à cet aspect du jeu lorsque la difficulté atteint des sommets et que l'on se surprend à se faufiler entre deux murs hérissés de pointes avec une aisance déconcertante malgré quelques sueurs froides.
Rayman vs Nintendo
Le monde de la plateforme est depuis des années le terrain de jeu de Nintendo, ne serait-ce que grâce à Mario et ses épisodes aussi bien 2D que 3D, l'éditeur ayant avec Donkey Kong Country Returns sur Wii. Le géant nippon rayonne et éclipse largement la concurrence aussi bonne soit-elle. Le seul reproche que l'on pourrait faire à Big N et à son plombier est un certain classicisme dans le game design qui se renouvele moins qu'à son habitude, New Super Mario Bros. Wii en étant l'exemple même. En France, on n'a pas Miyamoto mais on a Michel Ancel, nommé Chevalier des arts et des lettres en même temps que le génie japonais, le monsieur n'est donc pas le premier venu, et ce n'est pas en lui disant que la plateforme est un genre dominé par les autres qu'il va abandonner pour autant. En reprenant le meilleur du genre et en injectant la folie qui les caractérise, son équipe et lui ont donné naissance à un monstre de fun et de qualité, qui égale, voire surpasse, ce qui s'est fait dans le domaine ces dix dernières années. Rayman Origins reprend de nombreuses ficelles des maitres du genre et les bonifie. Le titre d'Ubisoft n'hésite pas à rendre hommage à ses modèles, le plus marquant étant sans aucun doute un passage qui rappellera aux plus anciens la première rencontre entre un plombier, alors charpentier, et un gorille géant.
Pour surpasser ses aînés, Rayman Origins a pour lui un atout majeur : son game design. Il n'est pas exagéré de parler de chef-d'œuvre pour cet aspect de Rayman Origins, on a rarement vu un tel enchainement de situations, de niveaux différents et de passages jouissifs dans un même jeu. Dans la soixantaine de niveaux qui vous attendent, nécessitant plus d'une dizaine d'heures pour les boucler sans tout récolter, vous allez avoir beaucoup de travail. En plus des classiques passages de plateforme, des levels à scrolling automatique, vous obligeant à avancer rapidement sous peine de sortir de l'écran et donc de mourir, vous nagerez dans un océan rempli de poissons, serez poursuivi par une armée de mouches qui ne craignent que la lumière, vous obligeant à rester très proche de cette dernière. Vous vous lancerez également dans des séquences de shoot'em up à dos de moustique, loin d'être anodines, qui vous offriront une bonne poussée d'adrénaline et bien d'autres choses. Difficile de s'ennuyer une seule seconde tant l'action est trépidante et ininterrompue, les rares moments de calme seront tout entiers consacrés à admirer les sublimes environnements.
Comme si tout cela ne suffisait pas, vous aurez de nombreux objets à ramasser dans chaque niveau. Vous devrez récupérer des electoons, charmantes petites boules roses à la mèche blonde permettant de débloquer des niveaux et de nouveaux personnages à incarner et ce, de plusieurs façons. Dans certains levels, il vous faudra trouver deux entrées cachées menant à une salle comprenant une cage, celle-ci sera bien entendu gardée ou piégée et, malgré le grand nombre de ces niveaux, on n'a jamais l'impression de faire deux fois le même. Deux electoons vous seront offerts si vous récoltez assez de lums et là encore, les moyens de les obtenir sont nombreux. Outre les petites boules jaunes disséminées sur le chemin, vous trouverez des pièces géantes offrant 25 de ces mignonnes créatures. Ce n'est pas tout, lorsque vous toucherez un roi lum, ses congénères deviendront rouges durant un très court laps de temps, ils compteront alors double dans votre escarcelle, une manne bienvenue à ne surtout pas négliger. Tuer les ennemis vous apporte aussi un lum, votre victime se transforme alors en bulle qui s'envole vers d'autres cieux, à vous de lui sauter sur la tête une nouvelle fois ou de le frapper pour obtenir un second de vos amis. Cela parait dérisoire mais si vous souhaitez faire exploser le compteur de fin de niveau, chaque lum compte et certains sont très bien cachés ou ne seront accessibles qu'un bref instant avant d'être perdus à moins de mourir pour revenir au précédent checkpoint.
Fouiller les niveaux de fond en comble ne sera pas suffisant pour obtenir l'intégralité des electoons puisque la majorité des niveaux terminés donnent accès à un contre la montre dont la récompense est un electoon. Si vraiment cela ne vous suffit pas et qu'il vous faut montrer que vous êtes le plus fort, il est possible d'obtenir une coupe pour chaque contre la montre, mais le temps à réaliser est d'un tout autre niveau, bref, les amateurs de défis ont de quoi faire. Cependant, leur Everest reste les courses poursuites. Chaque monde contient un niveau de poursuite avec un coffre. Au nombre de dix, ces levels vous demandent d'enchainer les actions avec une marge d'erreur infime. Préparez-vous à échouer encore et encore avant de pouvoir rattraper ce maudit coffre. La récompense est cependant à la hauteur puisqu'une fois les dix courses remportées, vous aurez accès au niveau ultime dont la difficulté fait passer le reste du jeu pour une vaste blague. Ceux recherchant du challenge seront satisfaits, tandis que les autres se contenteront des niveaux de base déjà bien corsés une fois les premiers niveaux expédiés. Les plus fous chercheront à réussir tous les chronos et à obtenir les meilleurs scores possibles au décompte de lums, Rayman Origins c'est aussi du scoring.
Jubilatoire
Ubisoft a donc fourni un énorme travail au niveau du plaisir du jeu, mais d'autres artistes sont à saluer dans cette création : les graphistes. C'est le point sur lequel la présentation de l'E3 2010avait mis tout le monde d'accord, Rayman Origins est beau, extrêmement beau. Résolument cartoon, le jeu se permet de nous offrir des décors sublimes qui sont de vrais artworks. Idem pour les personnages aussi déjantés que bien dessinés et animés à la perfection. Chaque mouvement s'accompagne d'une mimique sur le visage de nos vaillants héros, mais aussi de leurs ennemis. On prend un malin plaisir à placer son poing dans les gencives d'un adversaire, juste pour le voir se transformer en bulle après une grimace digne d'un bon dessin animé. Il faut dire que l'idée de base de Michel Ancel était de créer un moteur, le UbiArt framework permettant de prendre un artwork ou une peinture pour en faire en décor du jeu. Pour donner une idée du travail réalisé, les principaux personnages disposent chacun d'une palette de 250 artworks.
En plus d'être somptueux, les graphismes profitent des environnements variés que traverseront nos joyeux lurons. Que ce soit la jungle, le pays de la musique où l'on rebondit sur des tam-tams et vole sur des flûtes, les vacances dans une cuisine remplie de piments et de sauce très piquante ou encore un verre à cocktails en passant par le bord de mer et de hauts sommets enneigés, rien ne pèche que ce soit au premier plan ou à l'horizon. Les couleurs sont vives, chatoyantes et respirent la bonne humeur.
De la joie, la musique en a à revendre, les rythmes sont variés et certains morceaux de la bande-son vont se loger dans votre esprit et ne risquent pas d'en sortir. La musique de fin de niveau, une simple boucle de ukulélé donne une folle envie de se trémousser en rythme. Que dire aussi de cet air qui vous poursuivra à chaque fois que vous tenterez de vous emparer de l'un de ces coffres fuyants. Les bruitages ne sont pas en reste avec des sons dignes des cartoons, la baffe en tête, dont on ne se lasse pas et mention spéciale à l'attaque chargée des ptizètres qui fait toujours son effet.
Plus on est de fous, plus y a de baffes
Comme nous le disions auparavant, Rayman Origins est jouable en coopération jusqu'à quatre. Si l'aventure solo est passionnante, elle se révèle monumentale lorsqu'on réunit quelques amis. A la manière d'un New Super Mario Bros. Wii, les choses peuvent se dérouler de deux façons, soit tout le monde joue en équipe pour avoir le meilleur score global à la fin, et ainsi débloquer des electoons, soit chacun veut être le plus fort et avoir plus de lums que ses voisins et les enverra donc visiter le premier précipice qui passe à coup de pied aux fesses. Est-il vraiment besoin de préciser que la seconde possibilité est celle qui l'emporte le plus souvent ? On s'amuse à jouer à quatre, à faire de son mieux pour obtenir une pièce difficilement accessible mais il arrive toujours un moment où quelqu'un met la première baffe, la première d'une longue série avant de se moquer de ses compagnons morts après avoir été projetés sur un lit de ronces où ils sont transformés en bulle puis ont de nouveau subi une baffe pour leur rendre leur aspect normal. Ils se font alors un devoir de vous rentre la pareille et ainsi nait un joyeux bazar ponctué d'éclats de rires et de bonne humeur. Rayman Origins sera l'animateur de très nombreuses soirées chez vous sans aucun doute. Le problème est justement qu'il faut avoir vos amis à portée de main pour profiter de ce délire, il est malheureusement impossible de jouer en ligne. Cette regrettable absence est sans doute le seul véritable défaut de ce Rayman Origins, un choix de Michel Ancel qui s'apparente à une imperfection au milieu d'un travail d'orfèvre mais un point tout de même dommageable pour ceux ne pouvant pas organiser de soirées baffes chez eux.
La plateforme 2D revient en force ces dernières années et Rayman Origins est la cerise sur un gâteau aussi appétissant que délicieux. Grâce à des graphismes somptueux, du fun à n'en plus finir, un game design monumental, une jouabilité au poil, des idées qui ne donnent jamais l'impression de tourner en rond et une rejouabilité énorme aussi bien pour la chasse aux trésors que pour s'amuser, le titre d'Ubisoft profite de qualités à faire pâlir n'importe quel concurrent. Tout ceci ne fait que se renforcer en multijoueur où vous pouvez être sûr de rire de bon cœur avec des amis tant on oublie rapidement qu'il y'a un niveau à terminer, trop préoccupés à trouver un moyen génial et sadique de tuer tous ses coéquipiers pour le plaisir. Il ne manque finalement que le multijoueur en ligne pour satisfaire tout le monde, cela n'empêche pourtant pas Rayman Origins d'être l'un des meilleurs jeux de plateformes 2D qu'on ait vu depuis très longtemps. Michel Ancel et son équipe peuvent être fiers, ils ajoutent un chef d'œuvre au tableau de chasse déjà bien garni du papa de Rayman.