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Les rentiers ne sont pas des vampires

Publié le 07 décembre 2011 par Copeau @Contrepoints

En échange d’augmenter de manière exponentielle le bien-être des consommateurs et des travailleurs, les rentiers demandent seulement qu’on leur donne une petite partie de toute cette richesse additionnelle qu’ils génèrent (qui tendra à coïncider avec le taux d’intérêt). Cela ne semble pas être une mauvaise affaire, non ?

Par Juan Ramón Rallo, depuis Madrid, Espagne

Les rentiers ne sont pas des vampires

À part le spéculateur, l’individu le plus haï d’une économie de marché est le rentier, c’est-à-cire ces capitalistes qui ne dirigent pas leurs affaires, mais qui ont simplement investi leur épargne dans une entreprise et perçoivent une rente périodique (sous formes d’intérêts ou de dividendes) qui leur permet de vivre sans travailler. Le public semble tolérer les capitalistes qui travaillent jour après jour pour faire avancer leur compagnie, car leur contribution à la création de richesse semble relativement directe et immédiate – ils travaillent, ergo ils font quelque chose et méritent d’être payé pour cela –, mais méprise les rentiers : Keynes proposa même de pratiquer l’euthanasie sur eux.

En bref, ces types n’en foutent pas une et vivent de la sueur du front d’autrui. Servent-ils réellement à quelque chose ? Quel est exactement la contribution à la production de biens et de services d’un type qui passe sa journée vautré dans son hamac avec un mojito à la main ? Est-ce que l’on ne pourrait pas les exproprier et répartir leurs propriétés entre les travailleurs sans que rien ne change (ou même améliorer les choses, puisque les travailleurs dépenseraient plus d’argent et stimuleraient l’industrie) ?

C’est ce que nous suggère notre intuition. Les biens et les services que nous consommons proviennent de l’utilisation de trois instruments : les matières premières, le travail et les biens de capital. Pour cette raison, les économistes classiques défendent l’idée que les biens et services fabriqués devaient être répartis entre les grands propriétaires terriens (rentes de la terre), les travailleurs (salaires) et les capitalistes (bénéfices et intérêts). Cependant, le marxisme posa une question pour le moins intéressante : si les biens de capital proviennent, à leur tour, des matières premières et du travail, les capitalistes ne seraient-ils pas en train de s’approprier des rentes qui, en réalité, devraient revenir aux propriétaires terriens et aux travailleurs (et, si en fait la propriété de la terre était commune, seulement aux travailleurs) ?

Eh bien non, les rentiers fournissent un facteur productif essentiel pour que notre économie se maintienne debout et soit capable de fabriquer d’énormes quantités de biens et de services : le temps.

Mettons-nous dans la peau d’un travailleur qui touche son salaire mois après mois. En le recevant, il a deux options : ou le destiner entièrement à l’achat de biens de consommation (nourriture, vêtements, logement, loisirs, gadgets variés…) ou il met de côté une partie de celui-ci pour épargner et financer la production de biens de capital (acheter des actions, des bons, monter une entreprise, etc.) si tous les travailleurs optaient pour acquérir uniquement des biens de consommation, on ne fabriqueraient que des biens de consommation: comme personne n’épargnerait, par définition personne n’investirait dans la fabrication de biens de capital. Dit d’une autre manière, les processus de production seraient très peu durables et très peu productifs – il n’y aurait ni infrastructures, ni R&D, ni machinerie – et les travailleurs devraient fabriquer les marchandises avec ce qu’il y aurait à disposition (c’est-à-dire, leurs mains ou un peu plus).

En revanche, si quelques-un d’entre eux choisissaient d’épargner une partie de leur revenu, on pourrait fabriquer des biens de capital qui rendront plus productif l’ensemble de l’économie, faisant en sorte que dans le futur, après avoir consacré beaucoup de temps à produire des biens de capital, on fabrique beaucoup plus de biens de consommation que dans le présent. Dit d’une autre manière, quand les travailleurs se transforment en capitalistes (quand ils épargnent et investissent en biens de capital), ce qu’ils font est retarder la satisfactions de leurs besoins et fournir du temps aux entrepreneurs pour qu’ils augmentent la productivité de l’économie. En échange de cela, en échange de différer leurs désirs, ces capitalistes réclament seulement une rente annuelle équivalente à un petit pourcentage de l’épargne qu’ils fournissent à chaque moment (par exemple, 4% ou 5%). C’est que l’acte d’épargner n’est pas une chose que l’on fait une fois dans la vie : les biens de capital se déprécient (non seulement physiquement, mais peuvent devenir obsolètes quand la demande des consommateurs varient), raison pour laquelle, pour maintenir la capacité productive de l’économie, une épargne continue sera nécessaire pour amortir et remplacer l’équipement productif (même sans parler de l’augmenter).

N’oublions pas que beaucoup de rentiers ont la possibilité de « presser » leurs sources de revenus, c’est-à-dire, d’arrêter d’épargner et de commencer à satisfaire leurs besoins de base, instinctifs ou à court terme (juste ce qu’ont l’habitude de faire les troisièmes ou quatrièmes générations de riches, qui ont tendance à dilapider l’empire productif édifié par leurs grands-pères ou arrière-grands-pères). Il apparaît clairement que si notre temps est mesuré, retarder la satisfaction de nos besoins suppose renoncer à la quantité de fins que nous atteindrons dans notre vie. En échange de cela, en échange de ne pas se comporter comme se comporte légitimement la majorité des personnes (dépenser presque tout ce qu’ils gagnent), en échange d’augmenter de manière exponentielle le bien-être des consommateurs et des travailleurs (pardonnez-moi la redondance), les rentiers demandent seulement qu’on leur donne une petite partie de toute cette richesse additionnelle qu’ils génèrent (qui tendra à coïncider avec le taux d’intérêt). Cela ne semble pas être une mauvaise affaire, non ?

Par exemple, récemment Amancio Ortega, fondateur d’une des plus belles success stories de l’histoire des entreprises espagnoles, Inditex [maison-mère du groupe Zara], a cessé de diriger l’entreprise pour devenir un simple rentier passif. Comme actionnaire majoritaire d’Inditex, il vit des revenus de son entreprise à succès sans, en apparence, courber l’échine. Cependant, Amancio Ortega rend bien un service essentiel : il choisit, par exemple, de ne pas faire pression pour qu’Inditex répartisse des dividendes extraordinaires au détriment du renouvellement des stocks ou de l’entretien des magasins. C’est-à-dire qu’Amancio Ortega permet à sa compagnie de générer chaque jour de très importants volumes d’épargne interne qui la maintiennent en fonctionnement ; et je crois que personne ne niera le fait que si Inditex, Google, Apple, Ikea ou Intel disparaissaient du jour au lendemain, notre niveau de vie souffrirait un recul très important.

Bien sûr quelqu’un pourrait se poser la question : et pourquoi ne nationalisons-nous pas sa fortune et laissons que ce soit l’État qui la gère ? Pour deux raisons de fond, à part le problème moral qui présenterait, même à un socialiste, le fait de voler à une personne le fruit de son travail (ce à quoi on pourrait arriver en réduisant l’épargne investie en biens de capital). La première, parce qu’en expropriant tout (nationalisation) ou partie (impôts sur le capital) du capital investi, on décourage l’épargne et on encourage, au contraire, la consommation. Dit d’une autre manière, les impôts sur le capital équivalent à un impôt sur le temps, sur le temps que l’on peut consacrer à fabriquer chaque fois plus de richesse (quelque chose d’assez fou, soi dit en passant).

La seconde est que le rôle des rentiers est moins passif que ce qu’il semblerait à première vue : au minimum, ils doivent décider dans quels négoces investir (ou à qui ils prêtent leurs épargnes pour qu’il prenne cette décision). Leur mission n’est pas seulement d’épargner, mais bien d’être les premiers distributeurs du capital : choisir dans quoi, où et avec qui investir. Rappelons-nous quelque chose d’évident : tous les investissements n’arrivent pas à bon port et seuls ceux qui génèrent de la richesse de manière soutenue pour le consommateur seront capables de fournir des rentes permanentes aux capitalistes. Il se trouve que l’État est un très mauvais distributeur de capital, entre autres choses parce que, quand il nationalise une industrie, il la protège de la discipline du marché, de la possibilité qu’elle fasse faillite, qu’elle se restructure, qu’elle soit achetée, qu’elle souffre de scissions, qu’elle se recapitalise ou se décapitalise, c’est-à-dire que l’État crée des missions arbitraires qui en général vont supposer un gaspillage de l’épargne amassée par les particuliers.

En définitive, les rentiers – les épargnants qui, en échange de ne pas consommer tous leurs revenus, perçoivent une portion de l’énorme richesse que continûment ils génèrent pour les consommateurs – sont des grands saints patrons du capitalisme. Peut-être même l’acteur par excellence de celui-ci, celui grâce à qui notre bien-être n’a cessé de croître malgré le dévastateur et omniprésent interventionnisme étatique. Il ne ressent aucune honte à être ou à chercher à devenir rentier : en fin de compte, un des programmes phare de la gauche, connu sous le nom d’allocation universelle, n’est rien d’autre qu’une miteuse tentative d’essayer de transformer tout le monde en rentier. Avec une petite différence : l’allocation universelle ne se paie à partir des rendements de l’épargne que chaque bénéficiaire a réalisé, mais à partir de la consommation du capital d’autrui ; c’est-à-dire qu’elle n’est pas le résultat de l’augmentation du bien-être d’autrui, présent et futur, mais bien le résultat de sa réduction. C’est pourquoi les épargnants capitalistes multiplient la richesse et les distributeurs étatistes la divisent.

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Article publié par Libre Mercado. Traduit de l’espagnol.


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