Au-delà du pourcentage de joueurs compulsifs au sein de la population (taux de prévalence), les interventions médiatiques récentes d'EmJEU concernent avant tout la prise de position publique de Robert Ladouceur dans le débat entourant le déménagement du casino de Montréal dans le quartier Pointe St-Charles et, conséquemment, la plainte en déontologie qui a été déposée au Comité d'éthique de la recherche de l'Université Laval (CÉRUL). C'est de cela dont il est question.
Au nom d'EmJEU, je tiens à préciser que cette plainte à été préparée et rédigée avec beaucoup d'attention et de rigueur. Par souci de transparence, EmJEU a mis à la disposition de tous, le texte de la plainte, l'avis scientifique de Jean Leblond et l'ensemble des documents sur lesquels nous nous appuyons. Nous invitons donc les lecteurs du SOLEIL et du DEVOIR à consulter le site d'EmJEU (www.emjeu.com) afin qu'ils puissent construire leur propre opinion quant au sérieux de cette démarche. Nous profitons de l'occasion, pour inviter le professeur Ladouceur à en faire autant c'est-à-dire à rendre disponible sur sa page web, non seulement les résultats complets de sa recherche, mais aussi les données brutes.
EmJEU n'a pas moins à coeur l'avancement des connaissances. Contrairement à l'opinion exprimée dans la lettre du 2 mars, nos émotions ne diminuent pas notre réflexion. Dans quels cours, à quelle université, les mousquetaires enseignent-ils que la vraie science se communique aux masses émotionnellement diminuées à grands coups d'attitudes méprisantes?
La valse des taux de prévalence du jeu pathologique est en grande partie attribuable au fait que les études financées par Loto-Québec souffrent de graves problèmes de représentativité, de questions qu'on oublie de poser, d'interviewers inaptes à évaluer les problèmes de jeu, de trous immenses dans les périodes couvertes par les études. Tout cela pour en arriver à un taux anormalement élevé de faux positifs, 82%. En 1996, avec un échantillon non représentatif, vous avez évalué que 2,1% de la population adulte du Québec avaient déjà éprouvé au moins un épisode de jeu pathologique. En corrigeant le problème de représentativité, ce taux grimpe à 2,77%. En 2002, en raison de votre propre gaffe, vous n'avez pas pu utiliser une mesure équivalente. Pour cette raison, aujourd'hui, vous défendez, à votre unique sauvegarde, le recours à une mesure de prévalence courante, la seule qui a survécu aux sérieux vices méthodologiques de votre étude de 2002. Qui transmet une information parcellaire? Ce n'est pas EmJEU!
Parlant d'information parcellaire, dans les informations cachées qu'EmJEU a trouvé dans la présentation PowerPoint de la conférence de presse de Robert Ladouceur, on retrouve un graphique troublant indiquant que 5,3% des sondés de Gatineau mentionnent qu'il y a une personne dans leur foyer qui a un problème de jeu! Cela rappelle les résultats d'un sondage de la firme Léger Marketing auquel ces chercheurs accordent peu d'importance. À la question: «Sachant qu'un joueur compulsif est dépendant et obsédé par le jeu et qu'il ne pense qu'à retourner jouer pour récupérer ses pertes, estimez-vous être un joueur/une joueuse compulsif (ve)?», 5% des Québécois ont répondu OUI et se considèrent donc eux-mêmes joueurs pathologiques. Pour la plupart des intervenants cliniques, oeuvrant fréquemment auprès des joueurs pathologiques, ce qui m'inclut, c'est le meilleur critère pour définir un joueur compulsif.
Même si ce sondage a été réalisé par téléphone, la stratégie du sondeur d'insérer cette question dans un sondage omnibus est habile, car elle a pour effet de surprendre le répondant qui n'a pas beaucoup de temps pour réfléchir aux implications psychologiques et émotionnelles de sa réponse. Ce résultat est d'autant plus préoccupant que ce type de questions très personnelles (toxicomanie, alcoolisme, jeu, sexualité) a souvent un taux de réponse positive inférieur à la réalité. Dans ce cas-ci, certaines réponses impliquent de facto, pour un joueur compulsif, la reconnaissance d'un problème de jeu ... une première étape difficile à franchir pour la plupart.
Du portrait des joueurs compulsifs Québécois, il est intéressant de constater que de nombreuses recherches (1) chez des adulte évaluent que 40% (parfois 58%) des personnes qui s'adonnent aux loteries vidéo (ALV) éprouvent de sérieux problème de jeu. Ce phénomène est d’autant plus inquiétant que Loto-Québec a annoncé récemment que 10% des Québécois «jouaient» aux ALV. Avec tout ces chiffres on est loin du 0,8% tout confondu de nos trois mousquetaires...
N'en déplaise à ces chercheurs généreusement financés par l'industrie du jeu, la coalition EmJEU a raison de soutenir que la dépendance au «jeu» d'argent est la deuxième en importance après le tabagisme (2). Contrairement à l'opinion de Magali Dufour, ce n'est pas une simple affaire de guéguerre de chiffres, car c'est en bonne partie grâce à ces informations que se définissent les politiques de santé publique... Pour la coalition EmJEU (Éthique pour une modération du JEU)
Alain Dubois
DOCUMENT D'ARCHIVE: mars 2006
(a) LE SOLEIL, 2 mars 2006; LE DEVOIR, 7 mars 2006
- Breen (1997) 38,5%; Borg (1997, page 1054) 41,3%; Loba, Stewart, Klein et Blackburn (2001) 48,3%; Oliveira et Silva (2001) 58,1%; Focal research : Nova Scotia video lottery players' study (1997-1998) 30,5% ALV; etc.
- Les statistiques sur la prévalence aux drogues illicites (0.9%), l’alcool (1.8%), proviennent de Statistique Canada
- Dépendance à l’alcool et aux drogues illicites, Supplément aux Rapports sur la santé, volume 15, 2004, Statistique Canada, no 82-003 au catalogue