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En salles : Manhattan, yuppie, chambre d’hôtel, addiction au sexe : pour un Français, les éléments qui composent la trame de Shame interpellent, forcément… Laissons de côté la rubrique faits-divers pour nous consacrer au cinéma. Et là, pas d’hésitations : il faut se précipiter sur le 2e film du cinéaste britannique Steve McQueen, après Hunger, déjà bien perturbant. Et ce, pour sept raisons :
1 – pour New-York : jamais aussi bien filmée depuis... depuis quand au fait ? Là, on est très loin de l’ambiance village chère à Woody Allen. C’est plutôt la mégalopole froide, impersonnelle et fascinante à la fois. A l’image de ce bouleversant traveling latéral sur Michael Fassbender entamant un jogging nocturne dans Manhattan, sur les Variations Goldberg de Bach – classe ! Pour ceux qui l’ont vu, c’est à Claire Dolan de Lodge Kerrigan que fait vraiment penser le New-York de Steve McQueen.
New York, une prison à ciel ouvert
2 – pour New York, again. Personnage à part entière qui apparaît comme une véritable prison à ciel ouvert. Vitres des lofts, cloisons murales de bureaux en verre fumé, baies vitrées du Standard Hotel, transparence et aérien dominent, mais flotte un puissant sentiment de claustrophobie.
3 - pour New York-New York, ter. Non Big Apple, mais la chanson, le standard, qu’on croit tous connaître par cœur. Et qu’on redécouvre ici, le temps d’une interprétation a capella par Carey Mulligan, une interprétation mélancolique, à vous fendre le cœur, insérant un peu de fragilité dans un monde de névrosés. Comme si les deux personnages dialoguaient enfin…
La petite mort en direct
5 – pour l’époustouflante maîtrise de la mise en scène. Steve McQueen livre là un film coup de poing dont on ne sort vraiment pas indemne. En jouant sur le rythme (scènes cut alternent avec plans séquences), les couleurs (couleurs chaudes et intense vs couleurs bleutées glaçantes), les décors (multiplication des lieux, chambres, douches, toilettes, hôtels, backrooms, bars, restaurants), la réalisation épouse le rythme existentiel de ce petit frère de Patrick Bateman (American Psycho), partagé entre frénésie sexuelle, workholism et vacuité affective. Et dont je retiendrais particulièrement un moment : le regard caméra de Michael Fassbender livre lors d’une partie à 3, où se lisent tout à la fois la solitude, la souffrance et la jouissance - une petite mort masculine en direct….
Nous sommes tous des citadelles de solitude
6 – pour Michael Fassbender, of course. Grâce à son jeu intense et cérébral, minéral et corporel, qui évoque à la fois Jeremy Irons et Viggo Mortensen, il se met complètement à poil, au propre comme au figuré, pour sa 2ème collaboration avec le plasticien britannique. Et ce sans jamais tomber dans le graveleux. Ni le pathétique. Mais non sans émotion. D’où l’empathie qui nous saisit face à ce glaçant portrait d’un homme seul, prisonnier de ses blessures et de ses névroses, addict au sexe et au travail - un homme enfermé à l’intérieur de lui-même, qui aurait bien besoin de consulter un psy ! Et n’oublions pas Carey Mulligan, gracile et fragile, source de vie dans cet univers désincarné, une fois de plus sur un bon coup, après Ryan Gosling – Drive – et avant DiCaprio – Gatsby le Magnifique !
7 – pour son titre, Shame, qui évoque moins un commentaire puritain sur l’addiction sexuelle que le sentiment de n’être pas tout à fait ce que nous avons choisi d’être, de dépendre de pulsions alors que nous nous croyons libres, de vivre à ciel ouvert alors que nous sommes tous des citadelles de solitude.
Travis Bickle
Shame