Malgré les apparences, la situation actuelle des médias n’est pas identique à celle qui a vu l’émergence du popart. Elle n’en est pas la simple radicalisation. En effet, dans le popart les médias étaient des représentations, c’est-à-dire des formes et des matières déterminants un signifié et un signifiant. En ce sens le popart pouvait s’inspirer des médias, pouvait également couper cette matière pour lui donner une nouvelle forme. Mais dans tous les cas il restait dans la représentation en lui associant un surplus de sens, par exemple la répétition. En ce sens le popart était dans une certaine continuité avec les papiers-collés du cubisme. Il s’agissait de copier et coller.
Dans le cas des médias numériques le copier/coller a un tout autre sens: on copie et on colle non une forme/matière déterminée mais des informations transformables, traduisibles sous une autre forme. Quand vous coupez un journal papier vous ne pouvez pas modifier la police de caractères utilisée, quand vous copiez dans un traitement de texte un journal sur Internet il vous est possible de modifier ce document comme bon vous semble. Ceci veut dire que la production esthétique actuelle entretient une relation au langage qui dans le domaine artistique est relativement nouvelle. On pourrait bien sûr associer cela à l’art conceptuel et programmatique, mais ceci nous empêcherait d’apercevoir la spécificité du changement radical qui se joue dans le couple que forment esthétique et langage.
Le flux des médias ne correspond plus au cadre aristotélicien d’une matière appellée à la forme qui déterminée constitue un enregistrement fini. Avec les médias numériques, tout se passe comme si le langage (et avec l’ordinateur tout est langage comme nous l’avons déjà dit ailleurs parce que même les images sont considérées comme des fichiers qu’il faut obligatoirement nommer) était inscrit mais que cette inscription n’arrêtait pas son pouvoir de transformation, son devenir si vous voulez. L’inscription n’est plus définitive, elle est au contraire une transduction potentielle. Quand un journal diffuse de l’information sur le web, cette information peut être partagée, citée, modifiée, comme arrachée à sa source originale. Cet arrachement nous rapproche de la nature même du langage et de son pouvoir de dissémination, de surinterprétation et de stratification.
Ainsi la référence dans certaines oeuvres contemporaines à des “icones” médiatiques nous semblent relever d’une logique passée. Il n’y a plus d’icone au sens où ceux-ci ne sont plus consistants dans une inscription stable. Il n’y a plus que des informations transductibles, transformables en réseau. Ceci signifie que le mode de perception de ces informations est bouleversée. Leur perception n’est plus simplement de référence (un souvenir par exemple associé à une coupure de journal) mais de devenir (un souvenir qui transforme une information).
Le fait d’analyser de façon précise et circonstanciée le nouveau statut de l’inscription au regard de la structure de l’information, pourra nous éclairer sur des modes de perception qui émergent dans notre contemporainéité ainsi que sur les nouveaux modes de partage et de participation politique hors de la représentation démocratique.