Deux conceptions de la République s’affrontent entre une anti-citoyenneté "en pièces détachées" et une "citoyenneté de
résidence", au milieu d’une "citoyenneté européenne en gestation". À moins que ce ne soit que l’occasion d’une énième polémique préélectorale.
Nicolas Sarkozy
avait en effet déclaré : « Une telle proposition me semble hasardeuse parce qu’elle risque de diviser profondément les Français au moment où,
plus que jamais, nous avons besoin de nous rassembler. ».
Ce n’est pas parce que le Président de la République a changé d’avis que les arguments ont changé de
sens.
Le droit de vote des étrangers est l’un des thèmes marronniers de la vie politique, une mesure qui ne coûte
pas grand chose (à part quelques rapports parlementaires) et qui permet d’en remettre une couche au clivage assez virtuel entre la droite et la gauche. Une bonne diversion sur les vrais problèmes
économiques et sociaux du pays. Pour une fois, Nicolas Sarkozy n’y est pour rien dans cette diversion.
La forme
D’ailleurs, il faut le saluer, les socialistes ont montré ici un très grand sens politique, habileté et
astuce parlementaire très fine. Ils ont repris une proposition de loi qui avait été adoptée par
l’Assemblée Nationale le 4 mai 2000 à l’époque où ils avaient la majorité absolue (sous le gouvernement de Lionel Jospin) et surtout sur la pression des Verts et des communistes (Lionel Jospin était très réticent).
Le regretté Raymon
Forni, le Président de l’Assemblée Nationale de l’époque, avait alors transmis cette proposition de loi au Sénat pour la poursuite de la procédure législative. Mais les sénateurs, depuis l’an
2000, n’ont jamais daigné remettre cette proposition de loi à l’ordre du jour. Si bien qu’elle était en attente (et a priori, il n’y a jamais de date de péremption dans ces procédures).
Le Sénat, majoritairement opposé à cette proposition, n’avait pas semblé utile de la discuter pour la
rejeter. La faute pourrait en incomber au Sénat qui a laissé dormir pendant onze ans une proposition adoptée par l’autre assemblée, mais en fait, c’est le Premier Ministre socialiste Lionel
Jospin qui avait refusé de la mettre à l’ordre du jour au Sénat.
Maintenant que le Sénat est à gauche, la situation a bien changé.
Au lieu de modifier la proposition de loi, les sénateurs de gauche auraient pu simplement mettre à l’ordre du
jour la discussion de cette proposition de loi déjà adoptée. C’était en tout cas l’option choisie par la rapporteure de la proposition Esther Benbassa, nouvelle sénatrice EELV.
Et vraisemblablement, cette proposition de loi aurait été adoptée dans les mêmes termes qu’à l’Assemblée
Nationale, si bien que les socialistes auraient réussi le tour de force de faire adopter définitivement une proposition de loi à laquelle était opposée la majorité parlementaire (à l’Assemblée
Nationale). Cela aurait donc été encore plus astucieux.
Cependant, les sénateurs socialistes, plus sérieux dans le travail législatif, ont bien compris qu’il
faudrait de toute façon modifier le texte du 4 mai 2000 en raison de quelques petits changements techniques.
Le texte a donc été
amendé en Commission des lois (rapport n°142) et sa discussion aura lieu cette semaine, le jeudi 8
décembre 2011 à partir de quinze heures.
Petit point amusant : Esther Benbassa, écologiste, dans sa déclaration à la Commission des lois le 30 novembre 2011, a cité deux illustres
"immigrés" : « Aujourd’hui, il est temps d’ajouter une nouvelle page à l’histoire de notre Nation, et de rendre hommage aux étrangers qui
dorèrent son blason, à l’instar des Prix Nobel Marie Curie ou Georges Charpak. ». Elle ne sait probablement pas que les deux illustres scientifiques avaient justement acquis la
nationalité française (comme l’a rappelé le sénateur UMP Jean-Jacques Hyest), respectivement en 1895 et en 1946, et que Georges Charpak avait passé les dernières années de sa vie à soutenir
activement l’industrie nucléaire…
Cela dit, il n’y aura pas de "bagarre" pour obliger le Président de la République (et les ministres actuels)
de promulguer cette "loi" car cette proposition de loi devra repasser par l’Assemblée Nationale puis, comme elle modifie la Constitution, pour être définitivement adoptée, il faudra ensuite
réunir le Parlement en Congrès (convoqué par le Président de la République) et la faire adopter à la majorité des trois cinquièmes.
Pour faire adopter définitivement ce texte, il faudrait donc obtenir l’aval des députés et aussi la majorité
qualifiée du congrès.
Pour l’instant, les socialistes et leurs alliés n’ont pas de majorité au Palais-Bourbon ni la majorité des
trois cinquièmes. Avec le nouveau Sénat, il faudrait que les socialistes et leurs alliés obtiennent au moins 376 sièges de député le 17 juin 2012 pour réussir à atteindre une telle majorité
(aujourd’hui, ils n’ont que 228 sièges).
Dans tous les cas, il y a peu de chance que le texte soit à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale avant la
fin de la législature, à savoir le 24 février 2012.
L’historique
L’idée de donner le droit de votes aux étrangers (pas "immigrés", mot qui n’a aucune signification juridique) n’est pas nouvelle et est un véritable
serpent de mer à but ouvertement politicien.
Ainsi, le candidat François Mitterrand l’avait déjà placée
dans ses 110 propositions lors de la campagne présidentielle de 1981.
Sa quatre-vingtième proposition disait effectivement : « L’égalité des
droits des travailleurs immigrés avec les nationaux sera assurée (travail, protection sociale, aide sociale, chômage, formation continue). Droit de vote aux élections municipales après cinq ans
de présence sur le territoire français. Le droit d’association leur sera reconnu. ».
Bien entendu, cela aura été une "promesse en lettres mortes".
En début avril 1988, pendant la campagne présidentielle très dure de l’élection présidentielle suivante, à l’issue
de la première cohabitation (conflictuelle), François Mitterrand avait relancé le thème pour enflammer les passions politiques (sur RTL : « personnellement favorable au droit de vote des immigrés aux élections municipales mais non à leur éligibilité »).
Il a ainsi affirmé qu’il était partisan du droit de vote des étrangers aux élections municipales mais
qu’il ne le déciderait pas car il sentait que le pays n’était pas prêt. C’était très habile de sa part (machiavélique même !) puisque, en définitive, pourquoi en parler (en pleine campagne
présidentielle avec des sujets bien plus importants comme le chômage etc.) si c’était pour ne rien faire ? Sinon pour simplement attiser les oppositions et les exacerbations et encourager la
candidature de Jean-Marie Le Pen qui avait grimpé le 24 avril 1988 à 14,4% des suffrages (à l’époque son score le plus élevé).
Soutenant très activement la candidature de Raymond Barre, j’aurais probablement voté pour François Mitterrand au second tour sans cette embardée démagogique qui mettait de l’huile sur le feu de la cohésion nationale.
Mon vote du second tour est donc allé pour Jacques Chirac, sans aucun regret.
Puis, le sujet est revenu régulièrement dans la vie politique, de façon surtout théorique, et dans presque
tous les programmes socialistes. C’est un bon moyen pour le PS de se montrer bien à gauche et d’exciter le taureau FN avec cette ficelle rouge assez grosse.
Lors de ses vœux à la presse le 12 janvier 2010 (il y a presque deux ans), la première secrétaire du PS
Martine Aubry avait ainsi ranimé le débat en pointant du doigt la position du Président de la
République : « Sortons des discours sur l’intégration, les étrangers, c’est un peu comme les discriminations, maintenant, ça suffit, il faut
agir ! (…) Le Président de la République avait dit qu’il y était favorable. Eh bien, qu’il la fasse voter, et nous dirons que c’est une loi portée par l’ensemble de la République
française. » ("Le Figaro", 13 janvier 2010).
Le fond
Reprenons donc le texte
exact de la réforme qui sera discutée au Sénat ce 8 décembre 2011 : « Le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales peut être
accordé aux étrangers non ressortissants de l’Union Européenne résidant en France. Ils ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d’adjoint, ni participer à la désignation des électeurs
sénatoriaux et à l’élection des sénateurs. ». Le reste est du ressort technique (juridique).
Sur la réalité de permettre à certains résidents de participer à la vie de la cité, on ne pourrait dans un
premier regard que s’en féliciter. Toute personne un peu impliquée dans la vie locale sait bien qu’il est difficile de trouver des personnes prêtes à s’engager et à participer dans la vie
municipale, ce qui suppose souvent beaucoup de temps (au détriment de la vie professionnelle ou familiale), d’abnégation (il y a rarement de la reconnaissance) et de pugnacité (pour des petits
riens, il faut déplacer des montagnes).
Pourtant, je n’y vois que des inconvénients et aucun avantage.
1. Le principal inconvénient : un principe républicain qu’on viole
Pour moi, ma certaine idée de la République, c’est notamment l’indissociable lien entre la nationalité
française et la citoyenneté française. Dénaturer ce lien, le découpler, c’est rendre le principe de nationalité coquille vide. C’est même grave de différencier les deux. C’est le principe
élémentaire de la souveraineté nationale, celle de la réserver aux nationaux français.
Selon Esther Benbassa, au contraire : « Il n’est pas légitime de lier citoyenneté et nationalité.
Alors que la nationalité répond à la question : "qui suis-je ?", la citoyenneté, quant à elle, répond à la question : "que faire ensemble ?". En d’autres termes, la
nationalité est attachée à une personne, alors que la citoyenneté relève d’une logique collective. ».
L’alinéa 3 de l’article 3 de la Constitution est pourtant assez clair sur ce principe qui date de 1793 :
« Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et
politiques. ».
2. Création d’une citoyenneté de seconde zone
Un autre inconvénient majeur, c’est de ne plus respecter l’égalité entre les électeurs ou les personnes
éligibles en interdisant une partie d’entre eux (les étrangers) d’assurer les fonctions exécutives au sein des municipalités.
C’est d’autant plus stupide qu’on pourrait très bien imaginer, avec une telle réforme, un conseil municipal
composé uniquement d’étrangers à l’exception du maire et des adjoints qui seraient alors forcément, lors des votes, sous pression …d’étrangers. Bonjour la souveraineté nationale !
3. Droit de vote et contributions fiscales
Parmi les très mauvais arguments qui cherchent à soutenir cette réforme, il y a le plus mauvais, celui de
dire qu’un étranger qui réside depuis longtemps en France paie ses impôts en France. Oui, certes.
Mais alors, où est la cohérence fiscale dans tout cela ? S’il paie la taxe d’habitation, non seulement
il devrait pouvoir voter aux élections municipales mais aussi aux élections cantonales et régionales, étant donné que la taxe d’habitation est composée d’une part régionale et d’une part
départementale, toutes les deux en hausse vertigineuses depuis la prise de quasi-monopole des socialistes.
Et il faudrait encore aller plus loin : cet étranger, s’il est salarié, paie aussi des impôts sur les
revenus et aussi ses cotisations sociales sur son salaire. En clair, il devrait aussi pouvoir voter pour les représentants nationaux, en clair aux élections législatives.
Allons encore plus loin : même les touristes paient la TVA lorsqu’ils consomment en France. Faudrait-il
donc leur octroyer, à eux aussi, le droite de vote ?
Bref, ce très mauvais argument, non seulement est totalement incohérent en terme de logique, mais il est
aussi philosophiquement très grave : cela voudrait dire que les nationaux français qui ne payeraient pas d’impôt seraient des électeurs "à la limite" ! Cela redonnerait goût à un
curieux retour (par la gauche !) du suffrage censitaire.
L’ancien ministre Hervé Mariton l’avait d’ailleurs remarqué : « Contrairement à ce que certains veulent nous faire croire, payer des impôts ne donne pas droit au vote, ou bien, c’est le rétablissement du suffrage
censitaire. » ("Le Figaro", 13 janvier 2010).
Il est à noter que cet argument avait été utilisé par Nicolas Sarkozy dans son livre "Libre" (éd. Robert
Laffont et XO, 24 janvier 2001) : « À compter du moment où ils paient des impôts et cotisations, où ils respectent nos lois, où ils vivent sur
notre territoire depuis un temps minimum, (…) je ne vois pas au nom de quelle logique nous pourrions les empêcher de donner leur appréciation sur la façon dont est organisé leur cadre de vie
quotidien. » (page 214).
4. Pourtant, il y a déjà les ressortissants de l’Union Européenne
Effectivement, depuis la ratification du Traité de Maastricht, les étrangers ressortissants de l’Union Européenne ont le droit de vote aux élections
municipales et européennes. Cette mesure est réciproque dans tous les pays de l’Union Européenne. Elle a été mise en application la première fois aux élections municipales de mars 2001 après la
promulgation de la loi française n°98-404 du 25 mai 1998 consécutive à la directive européenne 94/80/CE du 19 décembre 1994.
Cela explique par exemple que Daniel Cohn-Bendit, qui a la
nationalité allemande (et pas française), a été régulièrement candidat (et élu) aux élections européennes en France depuis juin 1994.
Personnellement, je n’étais pas favorable à cette mesure qui casse le lien entre nationalité et citoyenneté (comme je l’ai expliqué) et qui crée des
électeurs de seconde zone.
D’un point de vue politique, cette mesure était pourtant un bon moyen de renforcer le sentiment d’appartenance européenne et de citoyenneté européenne. C’est justement cet ensemble institutionnel très
"bâtard", exceptionnel dans l’histoire mondiale, qui essaie d’unifier tous les pays européens tout en essayant de préserver la souveraineté de chacun d’eux.
Après plus de cinquante ans de recul, le système est loin d’être satisfaisant car il est loin d’être démocratique et transparent : le jour où le
Président de la Commission européenne (actuellement José Manuel Barroso) ou mieux, le Président du Conseil européen (Herman Van Rompuy) sera élu au suffrage universel direct par l’ensemble des électeurs européens, le pouvoir européen sera démocratique et visible.
Cette "faille" juridique pour raison européenne, les socialistes, évidemment, ont cherché à l’instrumentaliser. Ainsi, à l’origine d’une autre
proposition de loi déposée en janvier 2010 à l’Assemblée Nationale avec Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls,
la députée socialiste Sandrine Mazetier affirme très nettement : « Notre proposition de loi vise à faire émerger une citoyenneté de
résidence. » pour embrayer sur la faille, justement : « Depuis l’ouverture d’un droit de vote aux élections municipales aux
ressortissants des États membres de l’Union Européenne, le droit français admet la dissociation entre droit de vote et possession de la nationalité française. ». Elle a hélas
raison.
Promouvant une « citoyenneté plurielle », elle s’est fondée sur les travaux de la sociologue
Catherine Whitol de Wenden : « La citoyenneté locale est une condition essentielle de la cohésion sociale, entravée par la nouvelle frontière
qui se construit entre Européens communautaires et non Européens. » ("La Croix", 24 novembre 2011).
Le sénateur UMP Philippe Bas ne considère toutefois pas que c’est une faille : « À vous entendre,
l’octroi du droit de vote aux étrangers de l’Union Européenne aurait été une "brèche" qu’il faudrait élargir. Au contraire, c’est parce qu’il y a une citoyenneté européenne en gestation que l’on
peut accorder le droit de vote aux élections locales à ces ressortissants communautaires. (…) L’Union Européenne, ce n’est plus du tout étranger. Ne banalisons pas le droit de vote des Européens
en le réduisant à une simple étape sur le chemin d’une extension généralisée. Avec les étrangers non communautaires, il n’y a ni passeport commun, ni partage de souveraineté, ni communauté de
destin, ni histoire commune. » (intervention à la Commission des lois du Sénat).
5. Une "citoyenneté locale" ne peut-elle être que locale ?
C’est la réponse à cette question qui fait probablement le clivage. Ma réponse est non pour deux raisons. Certes, la proposition de loi discutée le 8
décembre 2011 insiste sur le fait que les étrangers ne pourraient pas être ni grands électeurs pour les élections sénatoriales, ni maires (ni adjoints).
Pourtant, le lien de souveraineté nationale reste continu. Les grands électeurs sont forcément issus des municipalités elles-mêmes issues des
"citoyens locaux". Ainsi, indirectement, les étrangers participeraient tout de même à la désignation des sénateurs, et donc, du législateur français.
L’autre lien, qui va devenir crucial pour les prochains mois, c’est la capacité des maires à parrainer un candidat à l’élection présidentielle
(cinq cents signatures sont nécessaires). Certes, une fois encore, les maires ne seraient jamais étrangers,
mais ils auraient émané malgré tout, pour certains, d’étrangers, ce qui pourrait être donc troublant en terme de souveraineté nationale.
6. Le vote des étrangers est-il vraiment un gage de cohésion sociale ?
Ce serpent de mer ressemble au mariage des homosexuels. Y a-t-il une réelle demande de la part des étrangers résidant en France de prendre part à la vie municipale ?
J’en doute. Ou plutôt, cela se saurait depuis longtemps. Les problèmes de cohésion sociale qu’on peut
rencontrer dans les banlieues-ghettos ne relèvent pas d’une citoyenneté locale ou pas. La preuve, c’est que la plupart des protagonistes, même "immigrés", sont de nationalité française et leur
droit de vote n’est pas ce qui peut les "affranchir". Une formation solide, un logement décent, un travail rémunéré correctement, ce sont des vecteurs de cohésion sociale bien plus efficaces.
7. La réciprocité
Un autre argument serait d’accepter le droit de vote des étrangers… sous réserve de réciprocité (condition
qui n’est pas mise dans la proposition de loi). Là encore, la cohérence est complètement surréaliste. La réalité des deux pays est très différente et l’idée est avant tout sociale, afin de
renforcer l’intégration des étrangers dans la communauté nationale par leur implication personnelle.
S’il fallait n’accorder ce droit que sous condition de réciprocité, cela signifierait qu’on instituerait deux
types d’étrangers hors Union Européenne, ce qui ne plaiderait pas vraiment en faveur de la cohésion sociale (pour laquelle le principe d’égalité me paraît fondamental).
Par ailleurs, c’est comme le débat (ridicule) sur la double nationalité (engagé il y a quelques mois par
l’UMP). Le débat reste sur l’acceptation de naturaliser ou pas un étranger (sous conditions) mais pas de retirer la nationalité étrangère à un citoyen déjà français, ni l’inverse, retirer la
nationalité française à un Français qui obtiendrait également une nationalité étrangère (là, c’est le problème du pays concerné, pas celui de la France).
On voit que ce débat peut produire des aberrations intellectuelles…
La seule solution raisonnable
Au contraire d’autres sujets de société, le sujet du droit de vote des étrangers est un faux problème. Car si
le résident étranger, parce qu’il s’est bien inséré, qu’il envisage de vivre définitivement en France, que sa famille s’y est établie, que son avenir ne peut être que français, souhaitait voter
aux élections, il suffirait qu’il fasse une demande de la nationalité française, qui serait, en terme de formalités, aussi "pénible" qu’une demande de carte d’électeur. Et en plus, il pourrait
voter à toutes les élections, pas seulement aux municipales.
L’ancien Président du Conseil Constitutionnel Pierre Mazeaud, qui est un éminent juriste et un ancien député, ne mâche pas ses mots : « Si un étranger a
de profondes attaches avec la France et souhaite participer pleinement à la vie de la cité, plutôt que d’accéder à un simple strapontin aux élections locales, il faut lui ouvrir la seule voie
digne de ses aspirations : la voie royale de la naturalisation. La citoyenneté ne se transmet pas en pièces détachées. » ("La Croix", 24 novembre 2011).
À tout prendre, je préfère qu’on assouplisse l’attribution de la nationalité française aux étrangers résidant
en France qui sont une richesse pour notre nation à leur octroyer une sorte de droit de vote bancal qui fermerait les yeux sur la logique juridique.
Les arrière-pensées
Donc, comme je viens de l’expliquer, rien ne soutient l’intérêt et la pertinence du droit de vote des
étrangers. Et surtout, c’est une mesure inutile, inintéressante, qui pollue le débat politique et surtout, qui le clive et renforce les passions.
Typiquement le genre de débats inutiles et dangereux qu’initiait l’UMP depuis le début de ce quinquennat et
visiblement, le PS lui emboîte allègrement le pas.
Les arrière-pensées sont évidemment nombreuses. J’en ai trois à proposer.
1. C’est un bon sujet pour gauchiser le discours du PS à bon compte. Les communistes et les Verts sont demandeurs. Le peuple de gauche
est ainsi "mieux" rassemblé, au cas où il y aurait des doutes sur l’appartenance du PS à la gauche.
N’ayant pas compris qu’elle aurait plutôt intérêt à ne pas trop insister sur le sujet, Eva Joly a même appelé à un rassemblement devant le Sénat le 8 décembre pour soutenir la proposition de loi.
2. C’est un mauvais sujet pour l’UMP car un tel sujet ne peut que renforcer le FN dans sa stigmatisation des étrangers et des "immigrés" (mot qui, je le répète, ne veut rien dire). En ce sens, la
proposition de loi est contreproductive et ses auteurs le savent très bien.
3. Peut-être le PS a-t-il l’arrière-pensée également de croire que l’électorat des "étrangers" aptes à voter lui serait acquis. Là,
j’en doute fortement et cela risque d’être le même mauvais calcul que l’abaissement de l’âge de la majorité pour Valéry Giscard d’Estaing (les jeunes avaient voté majoritairement contre lui en 1981).
D’une part, il ressort des dernières élections que les quartiers où les électeurs sont d’origine étrangère
(quartiers dits "sensibles") ont plutôt montré une indifférence à la chose politique (abstention massive).
D’autre part, il est même fort à parier que l’étranger qui voudrait participer aux élections municipales soit
un résident qui souhaite la sécurité, le calme et la sérénité et qu’il apporte sa voix aux meilleurs partisans de l’ordre (donc, pas forcément au PS).
Relations entre le PS et un certain "islamisme"
Il y a aussi une autre arrière-pensée plus grave. Celle d’un PS qui voudrait donner des gages aux
"islamistes". On a pu constater que dans les dernières élections locales, cet élément est apparu (le NPA avait des listes avec des femmes voilées).
Le sujet est important et cela voudrait dire que le PS considérerait les islamistes en France comme des
forces organisées.
Le sénateur Philippe Bas va assez loin d’ailleurs dans ses inquiétudes : « Veut-on voir les municipalités réserver des horaires aux femmes dans les piscines, adapter les menus des cantines scolaires, réglementer la circulation pour
permettre les prières de rue ? ».
Pourtant, d’autres signaux contradictoires diraient le contraire.
Ainsi, la veille de la discussion de cette réforme, le mercredi 7 décembre 2011 à quatorze heures trente, le
Sénat examinera une proposition de loi émanant de la majorité sénatoriale dominée par le PS (à
l’initiative du Parti radical de gauche) qui renforcerait la loi contre le port du voile musulman
(« obligation de neutralité ») dans les « structures privées en charge de la petite
enfance » (par exemple, les crèches et les centres de loisirs et de vacances). Le rapport a été
déposé par l’ancien Ministre de la Défense Alain Richard le 30 novembre 2011.
Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) est même très sévère vis-à-vis de la gauche en titrant
son communiqué de presse du 1er décembre 2011 ainsi : « Sitôt passé à gauche, le Sénat propose un loi islamophobe » et en
faisant part de sa déception : « La course aux idées d’extrême droite visant à stigmatiser les musulmans en tant de crise n’est pas l’apanage
d’une partie de l’UMP. Les partis de gauche pensent-ils devoir s’engouffrer dans cette voie au risque de décevoir ceux qui voyaient en François Hollande et Eva Joly des pourfendeurs des discours qui stigmatisent et divisent les
Français ? ».
Alors, à quoi joue le PS ? Avec le feu, assurément…
Au-delà du serpent de mer
Le débat sur le droit de vote des étrangers est donc factice. Même adopté, ce droit n’aura pas une grande
conséquence, a priori. Il y a 1,8 million d’étrangers non européens, majeurs et résidant en France depuis plus de cinq ans, et si l’on prend le taux des ressortissants de l’Union Européenne qui
votent, à savoir 20%, cela voudrait dire moins de quatre cent mille électeurs de plus… à condition qu’ils viennent quand même s’inscrire !
Le débat est évidemment sur le plan des principes (le lien à mon sens indissociable entre citoyenneté et
nationalité qui est l’un des fondements républicains), et il l’est aussi sur le plan politicien, en renforçant la tension entre la droite et la gauche, en caressant dans le sens du poil les
"gauchistes" et en exaspérant des électeurs qui pourraient pencher vers le FN.
Bref, inutile de dire que la démocratie n’en sort pas grandie.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (6 décembre
2011)
http://www.rakotoarison.eu
Informations complémentaires : c'est le Premier Ministre François Fillon lui-même qui interviendra dans le débat au Sénat sur le sujet et l'ancien
ministre Jean-Pierre Chevènement (candidat à l'élection présidentielle) ne soutiendra
pas le texte.
Pour aller plus loin :
Le texte qui sera débattu le 8 décembre
2011.
Le rapport de
ce texte par Esther Benbassa le 30 novembre 2011.
Le texte adopté le 4 mai 2000 par l’Assemblée Nationale.
Le texte sur l’obligation de neutralité
débattu le 7 décembre 2011.
Le rapport de ce texte par Alain Richard le 30 novembre 2011.
La loi du 25 mai 1998 sur le vote des Européens aux municipales.
La directive du 19 décembre 1994 sur le vote
des Européens aux municipales.
Le Sénat est maintenant à gauche.
http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/droit-de-vote-des-etrangers-la-105675