Ce lundi 5 décembre, Angela Merkel est venue déjeuner à Paris chez Nicolas Sarkozy. On nous avait promis un « déjeuner de
travail » avant le Conseil européen de fin de semaine, une énième réunion de la « dernière dernière » chance. D'aucuns ont suggéré que ce rendez-vous, décidé en milieu de semaine
dernière, avait été placé là pour gêner le déplacement du candidat François Hollande à Berlin.
Comme l'a justement rappelé le candidat socialiste, il a « plus de facilité à trouver des compromis avec [ ses ] amis du
SPD que Nicolas Sarkozy a pu en trouver jusque-là avec Mme Merkel ». Effectivement, ce lundi, Angela Merkel n'avait pas l'intention de se laisser sur les pieds.
De l'arrogance Sarko-française...
Et pour cause ! Les relations franco-allemandes depuis 2007 ressemblent à une chronique d'un véritable gâchis. Candidat, il
avait lancé, en mars puis en avril 2007, avec une violence gratuite et germanophobe assez remarquable: « la France n’a jamais cédé à la
tentation totalitaire. Elle n’a jamais exterminé un peuple. Elle n’a pas inventé la solution finale, elle n’a pas commis de crime contre l’humanité, ni de génocide ». Elu président, il a
d'abord joué le mépris et la distance. En juin 2007, il avait prévenu ses
partenaires européens que la France ne respecterait le plafond des 3% du PIB de déficit budgétaire qu'un an plus tard (2013 au lieu de 2012) que ne l'avait promis le gouvernement français
quelques mois auparavant... Le Monarque voulait faire rapidement passer son coûteux paquet fiscal, ce qui fut fait dès le mois d'août 2007. Ensuite, Sarkozy misa sur une Union européenne qu'il
tenta d'imposer à l'Europe nordiste dont l'Allemagne; présidant pour 6 mois l'union européenne, il joua surtout sa carte personnelle aux détriments de la concertation, et pour le plus grande
agacement de Mme Merkel.
Puis, au printemps 2009, le retournement fut complet. Sarkozy se précipita dans les bras de la chancelière allemande. Il
n'avait plus le choix. La crise avait cassé ses espoirs de croissance et rupture. Il avait lui-même dégradé le déficit structurel du pays, et son plan de relance n'avait pas permis de sortir le
pays de la crise aussi brillamment que le voisin allemand. Depuis, notre Monarque ne jure plus que sur la convergence franco-allemande.
... à l'obéissance
Lundi 5 décembre, Angela et Nicolas déjeunèrent donc
ensemble, puis assurèrent une courte conférence de presse. « Les choses ne peuvent plus continuer comme elles ont prospéré jusqu'à aujourd'hui » a prévenu Nicolas Sarkozy. «
Prospéré » ?
L'accord reprenait, sans surprise, les principaux points de la position... allemande.
En fait, Angela Merkel était venue annoncer à Paris son accord.
1. Aucun plan d'action immédiat
Jeudi
dernier, à Toulon, Nicolas Sarkozy s'était ému que l'Europe, face à la crise, n'aille pas « pas assez vite, pas assez loin, pas assez fort ». « Il y a urgence » avait-il dit
à refonder l'Europe. Prêteurs, observateurs, institutions internationales attendaient aussi une initiative franco-allemande forte pour relancer la machine, un panaché de relance à court
terme, de prêts européens et de rigueur à long terme. Partout, et même aux Etats-Unis, on s'inquiète de la récession qui s'annonce en Europe. Mais ce lundi, les deux dirigeants n'annoncèrent ... qu'un accord
franco-allemand pour un nouveau traité pour renforcer la discipline budgétaire des Etats.
2. Un nouveau traité... dans 6 mois ?
Faute de mieux, les deux dirigeants sont donc tombés d'accord sur la mise en place d'un « nouveau traité » de l'Union européenne, soit à 27 Etats-membres, soit à
17 (les membres de la zone euro) auxquels pourraient se joindre
d'autres Etats volontaires: « notre préférence va vers un traité à 27, pour que personne ne se sente exclu de la démarche franco-allemande mais nous sommes tout à fait prêts à passer par un
traité à 17 ouvert à tous les Etats qui voudraient nous rejoindre » a expliqué Sarkozy.
La proposition n'est évidemment pas à la hauteur de l'urgence: il faudra 6 à 12 mois de négociations puis ratifications avant
que cette proposition franco-allemande ne se traduise dans les textes. Rappelez-vous: le plan de sauvetage d'urgence de la Grèce adopté le 21 juillet dernier a mis 3 mois avant d'être ratifié par
les 27 !
3. Des sanctions automatiques
Les deux chefs d'Etat souhaitent l'imposition d'une règle d'or aux Etats-membres, qui les contraignent d'avoir des budgets
annuels qui tendent vers l'équilibre. Pour les pays qui ne respecteront pas la discipline budgétaire, les sanctions seront « automatiques », et il faudra une majorité qualifiée par les ministres des finances de la zone euro pour y
échapper. Nicolas Sarkozy a accepté le recours aux tribunaux, en l'occurrence la Cour Européenne de Justice, pour déterminer le non-respect éventuel de la règle d'or. La CEJ jugera de la
conformité des règles d'or nationales avec les règles européennes. En revanche, maigre consolation, Sarkozy a obtenu que la CEJ ne puisse carrément annuler un budget national. Ce seront aux cours
constitutionnelles nationales de juger du respect ou non des budgets nationaux avec la règle d'or... Quel succès !
4. Pas de contribution du secteur privé
C'est la maigre concession d'Angela Merkel à Nicolas Sarkozy. Ce dernier, sans doute soucieux de protéger les comptes des
banques françaises, ne voulait pas imposer une participation automatique du secteur privé dans le futur Mécanisme Européen de Stabilité. Cette concession allemande était quasi-inévitable: imposer
aux banques françaises d'abandonner leurs créances sur les pays défaillants aurait nécessité un plan de sauvetage franco-français impossible en cette période de menace sur le Triple A.
5. Pas d'eurobonds
Depuis le printemps 2010, Nicolas Sarkozy s'est aligné sur
la position allemande: « les eurobonds ne sont en aucun cas une solution » a déclaré le Monarque.
6. Une BCE indépendante
Les deux dirigeants évacuèrent le cas de la Banque Centrale Européenne. C'était pourtant l'un des désaccords sérieux entre
Sarkozy et Merkel. La BCE restera donc indépendante. Sarkozy s'est couché, faute de levier.
Au passage, le président français tacla les socialistes de germanophobie. Quand on se rappelle ses propres propos
électoraux de mars 2007, on pouvait avoir honte:
«Jusqu'à présent, l'amitié franco-allemande faisait l'objet d'un consensus au sein de la classe politique française. Les paroles qui ont été entendues déconsidèrent ceux qui les ont prononcées à l'endroit de nos amis allemands (...). Je souhaite que, quel que soit le calendrier électoral, chacun sache se hisser à la hauteur des responsabilités et ne joue avec l'histoire de nos deux pays, qui a été trop dramatique pour qu'on se permette de se laisser aller à ce point.»
Lundi soir,
le Financial Times révélait que l'agence Standard's and Poor avait prévenu le matin même les gouvernements allemand, français, autrichien, luxembourgeois, finlandais et hollandais qu'elle les
plaçait en surveillance ,égative en vue d'une prochaine dégradation de note de crédit.
Les gesticulations de Merkozy ce lundi n'avaient servi à rien.