Une fois de plus, on s’y perd. Les statistiques de trafic les plus récentes, établies par ID Aéro, justifient l’emploi de l’expression «phase haussière» mais, en cette fin d’année, les chiffres se tassent nettement. Peut-être serait-il préférable de jeter les statistiques mensuelles aux orties et de se contenter de calculs annuels : à trop regarder les données établies quasiment en temps réel, on perd son latin. Pire, des conclusions erronées risquent d’être tirées en toute bonne foi de chiffres que chacun peine à replacer dans leur juste contexte.
Pourquoi ces précautions oratoires ? Parce que, nous apprend ID Aéro, le trafic passagers d’octobre a progressé d’un «petit» 2,4%. L’IATA, pour sa part, fait état d’un recul de 4,7% du trafic fret. On se demande pour la première fois si le fret peut encore être considéré comme un baromètre économique fiable, tant il devient difficile d’en interpréter les mouvements erratiques. A chacun de répondre à cette interrogation, faute de disposer d’éléments d’appréciation adéquats.
Il est difficile d’aller à l’essentiel et de s’aventurer à affirmer que le transport aérien aborde à nouveau des jours difficiles. Mais c’est une hypothèse plausible à un moment où se succèdent les avertissements inquiets de Standard and Poor’s et de ses acolytes, que la zone euro tremble sur ses bases et que le Japon peine à retrouver un bon rythme économique post-accident nucléaire. En clair, on ne retrouve pas, au cours de ce dernier trimestre 2011, la prolongation des bons résultats du début d’année.
ID Aéro, dont les propos sont traditionnellement très mesurés, affirme imperturbablement que le secteur reste sur la courbe de croissance de 4,9% par an «et même un peu au-dessus». La contradiction n’est qu’apparente, la progression du trafic, depuis janvier, se situant au niveau enviable de 5,2%, cela avec des contrastes importants d’une région du monde à l’autre. Ainsi, l’Europe progresse de 8,4%, ce qui est tout simplement remarquable (et inattendu) mais l’Asie-Pacifique est toujours à la traîne avec une augmentation de la demande de 2,5% seulement.
En cherchant bien, les économistes trouvent d’autres raisons d’inquiétude. Certaines sont évidentes, d’ordre géopolitique, les maillons faibles étant la Tunisie, l’Egypte et, bien entendu, la Libye. D’autres intriguent, à commencer par les signes de faiblesse dont témoigne le marché intérieur américain, trop peu évoqués ces jours-ci parce que le dépôt de bilan d’American Airlines a monopolisé l’attention des analystes et des médias.
Dans le même temps, en Europe, on s’interroge sur l’évolution du secteur low cost. En octobre, Ryanair, EasyJet et leurs congénères ont dû se contenter d’une progression de trafic minimaliste de 2,4%. Le cumul, depuis le début de l’année, fait apparaître une progression de 6,7%, médiocre par rapport aux habituelles augmentations à deux chiffres. Petite zone de turbulences ou annonce de jours difficiles ? La question ne reçoit pas encore de début de réponse.
La synthèse des statistiques portant sur 10 mois font par ailleurs apparaître un coefficient d’occupation de 78,9% et de 81,8% pour les low cost lorsqu’elles sont extraites des chiffres globaux. On constate ainsi que les compagnies, tous réseaux confondus, maîtrisent correctement le rapport entre l’offre et la demande, un exercice d’autant plus difficile que le transport aérien constitue une industrie lourde, à forte inertie. D’où la difficulté de donner un sens à des données qui ne se prêtent guère à de savantes interprétations, encore moins au jeu des extrapolations.
Plus que jamais, le transport aérien étonne et déroute. C’est aussi ce qui lui confère tout son intérêt.
Pierre Sparaco - AeroMorning