A propos de Le cheval de Turin de Béla Tarr 3 out of 5 stars
Au milieu de nulle part et à une époque inconnue, un fermier d’une soixantaine d’années vit avec sa fille et leur vieux cheval. La tempête s’est levée, l’homme et sa fille se retrouvent de plus en plus désoeuvrés et isolés. Même le cheval commence à se laisser dépérir…
En 1889, à Turin, Friedrich Nietzsche (1844-1900) assista à une scène horrible : apercevant un cocher qui fouettait à mort un cheval épuisé, le philosophe allemand se jeta au cou de la bête qu’il enlaça en larmes. On dit que le philosophe allemand perdit la raison à la suite de cet épisode.
Pour le scénario du film qu’il considère lui-même comme le dernier qu’il fera, Béla Tarr s’est inspiré de cette anecdote célèbre en se demandant, non sans ironie, ce qui était arrivé au cheval. Question que personne ne se pose évidemment dans la mésaventure de Nietzsche.
Découpé en 7 parties qui correspondent aux jours de la semaine, Le cheval de Turin décrit la lente agonie matérielle, morale et psychologique d’un vieux fermier et de sa fille.
La tempête qui sévit dure et ne leur laisse aucun répit. Dans ce processus inexorable de dégradation, les deux hommes se trouvent de plus en plus démunis et désespérés.
Le cheval de Turin n’est pas tellement construit autour de l’histoire d’un cheval déprimé. Certes, le fait que le cheval dans le film refuse de s’alimenter et se laisse peu à peu aller aura des conséquences désastreuses. Mais au-delà de l’histoire du cheval, Le cheval de Turin, comme L’Homme de Londres, semble presque entièrement construit autour d’une musique et d’un refrain lancinants. Les compostions de Mihály Vig constituent comme un thème d’inspiration, la trame à partir de laquelle Béla Tarr déclinerait ses gammes de réalisateur virtuose. Comme dans L’homme de Londres, le son semble en décalage permanent avec la voix. Les dialogues, à peine audibles, paraissent baragouinés, ce qui ajoute à l’étrangeté du film et à l’âpreté d’un père pour le moins rude avec sa fille (et qui mange avec ses mains les pommes de terre brûlantes).
D’improvisation, il n’y en a absolument aucune dans ce drame au contraire très précis et sans échappatoire. Dès la première scène, on sent la liberté de filmer absolue de Tarr dans un long plan séquence magistral aussi sublime que le visage tendu, en noir et blanc, du vieillard dont la calèche avance péniblement dans le vent.
Le cheval de Turin abonde de plans séquences beaux comme celui-ci. Chaque journée que passent ensemble le vieillard et sa fille ressemble à un rituel, une sorte de performance construite sur la répétition et l’usure. Chaque jour arrive un nouveau malheur, au cours duquel le vieillard et sa fille perdent quelque chose. Le premier jour, c’est le cheval qui refuse d’avancer, le second, c’est un voisin prophétique qui vient annoncer qu’« ils (ndlr : qui ça, « ils » ?) ont souillé et pillé la Terre », le quatrième, c’est le puits qui se retrouve sans eau, sans doute mis à sec par des Tsiganes…
Dans cette dégringolade sans issue, le vieillard et sa fille n’ont même plus d’huile pour allumer les lampes à pétrole.
Au-delà de sa virtuosité formelle, on peut regretter le côté fermé, jusqu’au-boutiste de Le cheval de Turin, qui ne laisse pas beaucoup de liberté d’interprétation pour le spectateur…
www.youtube.com/watch?v=A12odu4REHE
Film hongrois de Béla Tarr avec Janos Derzsi, Erika Bók, Mihaly Kormos, Riscsi (02 h 26).
Scénario : 2 out of 5 stars
Mise en scène : 4 out of 5 stars
Acteurs : 3 out of 5 stars
Compositions : 3 out of 5 stars