Bonjour à celles et ceux qui ont envie de crier
Bonjour à celles et ceux qui ont envie de pleurer
Bonjour à celles et ceux qui se taisent mais n'en pensent pas moins
Bonjour aux zotres
Lorsque je pars à l'étranger, je lis peu. Dans mon cas, le changement d'air et de culture ne semble pas propice à la découverte romanesque c'est pourquoi je n'emporte que des livres peu épais, moins de 150 pages généralement et je les abandonne sur place à mon départ (ça c'est parce que je trop de souvenirs).
Il se trouve que j'ai lu Cris de Laurent Gaudé quasiment d'une traite à Barcelone et que je n'ai pas pu me résoudre à abandonner mon exemplaire de cet admirable roman.
Le sujet
Quelque part en première ligne, de courts témoignages de soldats après ou avant l'assaut évoquent l'angoisse, la folie, la fraternité, la mort, l'absurdité de la guerre dont bien peu sortiront intacts.
4e de couverture
Ils se nomment Marius, Boris, Ripoll, Rénier, Barboni ou M'Bossolo. Dans les tranchées où ils se terrent, dans les boyaux d'où ils s'élancent selon le flux et le reflux des assauts, ils partagent l'insoutenable fraternité de la guerre de 1914. Loin devant eux, un gazé agonise. Plus loin encore, retentit l'horrible cri de ce soldat fou qu'ils imaginent perdu entre les deux lignes du front, «l'homme-cochon». A l'arrière, Jules, le permissionnaire, s'éloigne vers la vie normale, mais les voix de ses compagnons d'armes le poursuivent avec acharnement. Elles s'élèvent comme un chant, comme un mémorial de douleur et de tragique solidarité. Dans ce texte incantatoire, l'auteur de La Mort du roi Tsongor (prix Goncourt des lycéens 2002, prix des Libraires 2003) et du Soleil des Scorta (prix Goncourt 2004) nous plonge dans l'immédiate instantanéité des combats, avec une densité sonore et une véracité saisissantes.
Mon avis
Cris est le premier roman de Laurent Gaudé et, bon sang, quel livre !
Je ne sais pas comment l'auteur a travaillé pour ce roman. S'est-il beaucoup documenté ? A-t-il lu ou recueilli des témoignages ? A-t-il simplement laissé parler son humanité et imaginé ce qu'un homme doit ressentir en enfer ?
Le résultant est saisissant. Gaudé réussit la prouesse de manier une lange lyrique, parfois poétique, tout restant particulièrement juste, économe de mots d'où l'émotion jaillit sans ostentation, sans préciosité, sans effets mais avec gravité, profondeur et l'héroïsme ordinaire des sacrifiés.
C'est remarquable.
Cette lecture marquante n'est pas sans évoquer La Mort du roi Tsongor que j'avais adoré également et, dans une moindre mesure La porte des enfers (que j'avais nettement moins apprécié) et on y retrouve le souffle épique et la thématique du sacrifice (et de sa pleine conscience) qui semble sous tendre l'oeuvre de Gaudé.
Extrait trouvé dans une critique de Dédale sur BiblioblogJULES - Je marche. On me laisse passer. On pousse les jambes. on se colle contre la paroi. je pense à Boris et à Marius qui n'ont pas reçu de petit papier bleu. Je pense que je pourrais déchirer le mien. Mais je ne le fais pas. je marche le long des boyaux. Je n'éprouve pas de fatigue. Mais aucun soulagement non plus. le sifflement dans l'oreille continue à me rappeler les bruits de la journée. Gerbes de terre. Course à pied. les cris. Les balles. le souffle coupé. impossible de dire ce qu'il s'est passé. Ce n'est qu'un grand nuage de fumée traversé par des hommes terrifiés. Les mains qui tremblent. Des corps qui tombent. Je suis un rescapé.Je crois de plus en plus de nouveaux. Par petits groupes affairés. Est-ce qu'ils comprennent d'où je viens en me regardant passer ? Est-ce qu'ils voient, à la façon dont j'avance, que je luis plus vieux qu'eux de milliers d'années ? Je suis le vieillard de la guerre qui rase les parois des tranchées. Le vieillard de la guerre qui n'entend plus rien et marche tête baissée. Ne pas faire trop attention à eux. Rester concentré sur mes jambes. je dois tenir jusqu'au train. Ils prennent place dans les tranchées. Je connais le nom de ceux qu'ils remplacent. J'ai mangé avec les cadavres qu'ils ensevelissent. mais que leur importe le nom des tuées. C'est leur tour, maintenant, de jouer leur vie aux dés. Ils sont nombreux. Forts et bien équipés. Je ne suis plus un homme, comme eux. Je sors de la dernière tranchée maintenant. Voilà. La marche va bientôt cesser. la gare est là. Je lève la tête. je n'en crois pas mes yeux. Une foule incroyable de soldats, d'armes et de caisses entassées. Des trains entiers ont dû se succéder pour déverser ce peuple de soldats. Ils piétinent le sol sans avancer. Encombrés par leur propre nombre. Ne sachant où aller. Attendant de recevoir des ordres. Attendant de connaître leur affectation. Attendant pour monter au front et prendre position. Une foule entière. Une nouvelle vague pour tout recommencer. Je me fraye un passage. Nous sommes si peu à prendre le train dans l'autre sens. Je me fraye un passage au milieu de ceux qui vont me succéder. Ils ne tarderont pas à me ressembler. Je garde la tête baissée. Je ne veux pas qu'ils me voient. Je ne veux pas leur laisser voir ce que sera leur visage épuisé. Je suis le vieillard de la guerre. j'ai le même âge qu'eux mais je suis sourd et voûté. Je suis le vieillard des tranchées, je marche la tête baissée et monte dans le train sans me retourner sur la foule des condamnés.
Très bel extrait complet à lire chez Liliba
Je meurs. Qui se souvient de moi ? (...) Le raz de marée qui m'emporte n'était qu'une vaguelette. Je meurs maintenant et cela me fait sourire car il m'est donné de voir, dans ces dernières hallucinations convulsées, les millions de souffrances auxquelles j'échappe."