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“Pionniers”

Publié le 25 juin 2007 par Gregory71

Il y a depuis quelques temps un mot qui revient de plus en plus souvent dans les articles de presse portant sur le netart et les pratiques artistiques numériques. C’est le mot “pionnier”, ce mot qui revient régulièrement pour désigner des pratiques datant de moins de 10 ans.

Il y a là un symptôme idéologique, quand par exemple l’artiste en question antidate ses travaux (les historiens de l’art en ce domaine feraient de vérifier leurs sources, c’est le minimum de probité scientifique surtout face à des artistes qui s’historisent eux-mêmes en se donnant comme par hasard une place privilégié), parfois amusant quand on désigne des pratiques vieilles de 2 ou 3 années.

Derrière mot “pionnier” il y a un enjeu, un symptôme disais-je, le désir de constituer une histoire au moment où, depuis des décennies déjà, le concept d’histoire semble s’écrouler devant l’innovation permanente des technologies, devant la fin des grands récits, devant les multitudes. Répérer ainsi des figures de pionniers, c’est tenter de construire une histoire avec ses origines, ses filiations, ses chronologies, comme si dans ce domaine il y a avait un avant et un après et que le second était un produit du premier, tout simplement, comme dans l’ancien temps, un lien de causalité rassurant si vous voulez. L’usage de ce mot est donc un symptôme.

Il y a aussi en ce mot quelque chose du ridicule précieux de la justification: la critique semble quelque peu perdue devant le flux de l’information artistique, trop nombreux, trop singuliers, trop disséminés, difficile de faire le tri. On se rattache alors à des arguments d’autorité: c’est un pionner, donc ça compte, son travail a une qualité simplement donnée par le privilège de l’antériorité. On applique ainsi une structure juridique (une forme est dite originale et artistique quand elle peut prouver son antériorité) à un jugement esthétique, formant par là même un amusant raccourci. Mais l’antériorité ne prouve rien dans le champ esthétique. Avoir utilisé des outils avant d’autres. Avoir fait ceci ou cela n’a aucune importance car l’évaluation esthétique se doit d’élaborer réflexivement et explicitement ses critères, de soumettre ceux-ci au regard extérieur et à la critique. Il faudra donc déconstruire coûte que coûte la mythologie de cette antériorité quand elle est prononcée comme un argument par un critique, par un artiste, par un médiateur. Il reste encore à élaborer une esthétique des arts numériques en dégageant celle-ci des élans modernistes produits par ses objets. On pourra à cette fin s’inspirer des théories achronologiques de Georges Didi-Huberman, ceci permettra d’amener la temporalité du récit historique à la hauteur de la temporalité esthétique dans laquelle le travail artistique advient.


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