Être (de) gauche

Publié le 02 juillet 2007 par Gregory71

« C’est d’abord une affaire de perception. Ne pas être de gauche, c’est quoi ? c’est un peu comme une « adresse postale ». Partir de soi, la rue où l’on est, la ville, le pays, les autres pays, de plus en plus loin. On commence par soi et dans la mesure où on est privilégié et où on est dans un pays riche, on se dit « Comment faire pour que la situation dure ? ». On sent bien qu’il y a des dangers et que cela ne va pas durer. Oulala la Chine …comment faire pour que l’Europe dure encore, etcetera. Etre de gauche, c’est l’inverse. C’est percevoir d’abord le pourtour des choses. Le monde, le continent, l’Europe, la France, la rue de Bizerte, moi. C’est un phénomène de perception, percevoir d’abord l’horizon. Ce n’est pas par générosité, ni par morale, c’est une question d’adresse postale. Tu vois à l’horizon, tu sais simplement que cela ne pourra pas durer, ces milliards de gens qui crèvent de faim et cette injustice absolue. On considère que ce sont là les problèmes à régler. Et ce n’est pas se dire simplement : il faut diminuer la natalité. C’est trouver des arrangements, les agencements mondiaux. Etre de gauche, c’est souvent que les problèmes du tiers monde, sont plus proche de nous que les problèmes de notre quartier. C’est vraiment une question de perception. Pas de belle âme. C’est ça d’abord être de gauche pour moi (…) La gauche, c’est l’ensemble des processus de devenir minoritaires. Donc, je peux dire, à la lettre : la majorité c’est personne, la minorité c’est tout le monde. C’est ça, être de gauche : savoir que la minorité, c’est tout le monde. Et que c’est là que se passent les phénomènes de devenir.  C’est pour ça que tous les penseurs, quels qu’ils soient, ils ont eu des doutes par rapport à la démocratie des doutes, sur ce qu’on appelle les élections, etc. Bon, enfin, c’est des choses très connues.».

(Gille Deleuze, Abécédaire)